"Casino est un cas d'école sur le manque de transparence des comptes"

Finance

publication du 16/09/2019

Professeur de finance à Kedge Business School, chercheur en gouvernance d'entreprise, Eric Pichet décrypte " l'affaire " Casino dont la maison mère, Rallye, a été placée en procédure de sauvegarde. Il revient sur les leçons à tirer en matière de gouvernance d'entreprise et de garde-fous financiers.

Interview

DAF Magazine : Selon vous, quels sont les mécanismes qui ont mené Rallye, maison mère de Casino notamment, à se placer sous la protection de la procédure de sauvegarde ?

Eric Pichet : Jean-Charles Naouri a mis en place un mécanisme de holdings en cascade, meccano financier utilisé par des entrepreneurs comme Bernard Arnault et François Pinault, permettant de détenir la majorité des droits de vote de Casino tout en détenant, en réalité, moins d'un quart de son capital. Cette ingénierie boursière est classique mais sa réussite incertaine car la holding contraint la filiale opérationnelle Casino à lui verser des bénéfices récurrents et importants destinés à rembourser sa dette. Cela a par exemple très bien fonctionné pour le groupe LVMH de M. Arnault car ses sociétés opérationnelles sont des vaches à lait en croissance régulière qui, tous les ans, versent des dividendes toujours plus importants (aussi bien aux actionnaires minoritaires qu'à la holding d'ailleurs).

Pour Jean-Charles Naouri, cela n'a pas aussi bien marché visiblement...

Non effectivement car le ralentissement des ventes de Casino en France et l'effondrement du marché brésilien ont abouti depuis trois ans à une ponction par la holding, - Rallye -, supérieure aux bénéfices de Casino limitant d'autant les perspectives de développement de Casino. Le conseil d'administration de Casino, qui est censé défendre son intérêt social et non celui de son actionnaire majoritaire, aurait donc dû s'opposer à la demande de M. Naouri de remonter autant de dividendes.

Quelle leçon en tirez-vous en tant que spécialiste de la gouvernance d'entreprise ?

Il y a incontestablement eu des négligences voire des fautes de la part des administrateurs de Casino, en particulier du comité d'audit et des administrateurs indépendants qui y siègent. Ces derniers étaient peut-être compétents, mais manifestement pas indépendants du tout vis-à-vis de M. Naouri. Il s'agit d'un problème récurrent en France dans les sociétés cotées.

Pensez-vous qu'il y ait eu des manipulations comptables ?

Il s'agit plutôt d'une extension particulièrement excessive de la comptabilité créative car quand l'essentiel des actifs d'une holding est constitué d'actions achetées à 80 euros et toujours valorisées à ce cours alors qu'elles cotent moins de 40 euros, on est très éloigné d'une transparence des comptes même si cette pratique est tolérée par l'AMF. C'est pourquoi l'AMF a encore un travail très important à réaliser pour améliorer la transparence des comptes des sociétés cotées. Finalement, ce sont les analystes financiers indépendants qui ont détecté ces anomalies comptables et joué le rôle de lanceurs d'alerte. Les gérants de Hedge Funds qui les ont relayées et vendu astucieusement les actions Rallye et Casino à découvert, ont gagné au passage beaucoup d'argent. Quant aux agences de notation, elles ont fini par réagir en dégradant les notes des deux sociétés, mais plus tardivement.

Quelle est la suite à votre avis ?

Paradoxalement, la procédure de sauvegarde de Rallye est une bonne nouvelle pour Casino car la suspension des dividendes lui permet de se recentrer stratégiquement et d'effectuer des ventes d'actifs pour réduire sa dette. Au niveau de Rallye, Il n'est pas exclu que Jean-Charles Naouri perde finalement le contrôle de son holding en cas de restructuration du capital avec transformation de la dette des banques en capital.

Est-ce que la direction financière de Casino a une responsabilité dans cette affaire ?

Non, le problème ne vient pas de la direction financière de Casino dont le rôle est d'assurer le financement de l'entreprise mais bien du niveau supérieur à savoir de son conseil d'administration et en particulier de son comité d'audit, la remontée des dividendes ne dépendant nullement de la direction financière.