Comment expliquer les rémunérations élevées des célébrités ?

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publication du 23/09/2019

Pour des auteurs comme Semprini ou Frank et Cook, le marché des célébrités fonctionne selon une logique du winner takes all dans laquelle les gains tendent à se concentrer autour d’un nombre de plus en plus restreint de top performers. Ainsi, des écarts parfois minces en termes de talents ou de performances se traduisent par des différences de rémunération colossales. Ce phénomène, appelé également « entropie intrinsèque limitée » se retrouve dans les sphères du sport, du cinéma, des médias, des affaires ou de la musique. Dans chaque catégorie, les 10 meilleurs performers perçoivent beaucoup plus que la moyenne de tous les autres, avec des disparités parfois importantes également entre les toutes premières places.

Afin d’illustrer ces particularismes, regardons le classement établi régulièrement par Forbes concernant les athlètes féminines les mieux payées dans le monde. Même en haut de la liste, essentiellement dominée par des joueuses de tennis, on trouve des écarts significatifs : Serena Williams gagne 18 millions de dollars annuels contre 13 millions pour l’athlète suivante, Caroline Wozniacki. Quant à Angelique Kerber, numéro 10 de ce ranking, elle perçoit 7 millions de dollars par an. De la même manière, Neymar domine largement le classement des salaires mensuels en Ligue 1 (3,06), suivi loin derrière par Mbappé (1,73) et Cavani (1,5).

Ces rémunérations globales des célébrités incluent le salaire (dans le cadre d’une activité salariée comme pour le football ou les médias), des prize money (gains lors de compétitions individuelles en tennis ou golf), mais aussi des sommes provenant de contrats publicitaires (qui peuvent surpasser dans certains cas les salaires) ou d’activités diverses (placements, investissements, créations d’entreprises ou de marques).

Trompe l’œil

Autre observation importante, la focalisation des médias sur des rémunérations extraordinaires qui ne reflètent pas une tendance générale des marchés. Selon les chiffres publiés par la Fédération internationale des associations de footballeurs professionnels en 2016, 45 % des footballeurs professionnels gagneraient ainsi moins de 1 000 euros mensuels. Même chose dans le cinéma : la plupart des comédiens en France perçoivent également des salaires très éloignés de ceux perçus par des stars comme Dany Boon. L’idée d’économies en trompe-l’œil doit donc évidemment être soulignée.

Si les montants des revenus ou des transferts paraissent parfois astronomiques, ils doivent aussi être mis en perspective avec l’impact économique de certaines célébrités sur leurs domaines d’activités respectifs. Ainsi, quand Neymar Jr. signe au Paris Saint-Germain pour un transfert évalué à plus de 220 millions d’euros, on peut considérer que l’ensemble des ressources va être impactées positivement : le club va vendre beaucoup plus de maillots ; il va attirer de nouveaux sponsors et renégocier les partenariats existants à la hausse ; il va augmenter les tarifs de sa billetterie et de ses prestations ; il va négocier à la hausse ses tournées d’avant-saison ou à la trêve hivernale ; il va constater une hausse des adhésions à ses réseaux sociaux, etc. Au bilan, il va améliorer nettement son capital-marque, bien que celui-ci soit difficile à quantifier précisément.

De la même manière, les acteurs de série perçoivent des rémunérations élevées, car ils représentent les ressources essentielles d’une industrie commercialisant ses concepts à différents réseaux dans le monde. Charlie Sheen gagnait 1,25 million de dollars par épisode pour sa présence dans Mon oncle Charlie. Mais les chaînes de télévision devaient débourser aux alentours de 150 000 euros pour un épisode dont les retombées en revenus publicitaires s’élevaient à plusieurs millions d’euros (un épisode de Docteur House sur TF1 a généré à lui seul plus de 6 millions d’euros).

Ressources rares

Revenons aux footballeurs et à la Ligue 1. Outre les salaires, les montants des transferts font régulièrement l’objet de commentaires, notamment pendant les périodes de mercato intenses. Un émoi d’autant plus vif que les niveaux des transactions ne reflètent généralement pas la valeur intrinsèque d’un joueur. Les montants sont en effet davantage le reflet de la bataille que se livrent les clubs entre eux afin d’attirer à prix d’or des ressources rares. Par exemple, les montants du transfert (42 millions d’euros) et du salaire de Javier Pastore négociés lors de son arrivée au PSG en 2011 traduisaient certes la valeur d’un jeune joueur talentueux, mais aussi et surtout la volonté du club parisien d’entrer dans la cour des grands d’Europe en arrachant à prix d’or un joueur potentiellement sollicité par le Real Madrid ou Chelsea.

Comme dans d’autres sports professionnels collectifs, certains postes sont davantage valorisés que d’autres. Les attaquants et les joueurs décisifs (clutch players) ont généralement des salaires plus élevés que les autres joueurs. Par ailleurs, certains postes se caractérisent temporairement par une rareté des ressources de grande valeur, comme les gardiens de buts, par exemple, selon les époques. Ceci peut expliquer le montant de certaines transactions dans lesquelles des clubs sous pression pour acheter se retrouvent en position de faiblesse par rapport à un club vendeur et des agents désireux de faire monter les enchères.

En dehors de ces caractéristiques de marché, il s’avère également délicat d’estimer précisément la valeur d’un joueur de football. En effet, comment combiner précisément des données objectives quantitatives basées sur des statistiques (nombre de buts, de passes, de kilomètres parcourus, etc.) avec des considérations plus qualitatives (comportement au sein de l’organisation, sens du collectif, aptitude au capitanat, etc.) ?

Plusieurs spécialistes considèrent qu’il faudrait réguler ces économies jugées folles, irrationnelles voire indécentes aux yeux du commun des mortels, de surcroît en période de crise et/ou de tensions sociales. D’autres observateurs insistent sur les nombreuses dérives structurelles ou individuelles engendrées par ces marchés fous.

Des marchés qui apparaissent d’autant plus fous que l’utilité sociale des activités des célébrités, essentiellement liées au divertissement, reste sujet à débat. Pourquoi en effet un footballeur gagnerait-il plus qu’un enseignant, par exemple ? Peut-on estimer que sa contribution à la société a une valeur supérieure ? Au-delà des débats et des jugements de valeur, des économistes comme Pierre Rondeau soulignent le dérèglement d’un système ultra-libéral à l’origine d’une bulle qui pourrait éclater. Face à ce risque, les instances étatiques ou professionnelles pourraient bien être contraintes de réguler progressivement pour réduire des inégalités de plus en plus criantes.

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