A quelques jours du premier tour des élections régionales, les sondages mettent en avant la victoire du Rassemblement national dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA). Au-delà du fort enjeu politique pour ce territoire, le scrutin dans cette région est particulièrement crucial à l’échelle nationale.
Rappelons que la région est composée de six départements : Alpes de Haute-Provence, Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône, Hautes-Alpes, Var, Vaucluse. Elle compte de grandes villes comme Marseille, Nice ou Toulon ou des cités à fort enjeu symbolique ou culturel comme Avignon, Cannes ou Manosque, le pays de Jean Giono. C’est ainsi dans cette région de France, l’une des plus attractives que le FN devenu RN a patiemment construit l’une de ses meilleures implantations.
Souvenons-nous de ce fait particulièrement marquant qu’ont été les municipales de 1995 : pour la première fois de son histoire le FN avait ravi trois importantes municipalités, situées en PACA : Toulon, Orange, Marignane à laquelle il faudra rajouter Vitrolles en 1997 gérée par le couple Mégret.
Entre dissidence et mauvaise gestion, ces villes seront perdues par le FN.
Plus récemment, défaites en nouvelles victoires électorales ont eu lieu dans la région notamment aux municipales de 2014 et 2020, le Rassemblement national a pu compter sur 10 villes en 2014 dont quatre en PACA. Un chiffre non négligeable malgré des dissidences peu après du côté des mairies de Cogolin et de Camaret sur Aigues. En 2020, dans un contexte Covid particulier, le RN gagne une grande ville du Sud-ouest qu’est Perpignan, et en PACA il conserve Fréjus et gagne aussi de petites villes du Vaucluse notamment comme Mazan, Bédarrides, Morières-lès-Avignon.
L’ampleur de l’ancrage vis-à-vis de l’échelle nationale
Par ailleurs, le vote RN a été particulièrement marqué en PACA lors du dernier scrutin présidentiel.
Présidentielle 2017 : Les différentiels se situent entre 5 et 10 % pour atteindre les 11 points entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron.
Vu en 2017 comme un personnage de gauche, ancien ministre de Manuel Valls sous la présidence de François Hollande, Emmanuel Macron a agi auprès d’un certain électorat de droite comme une forme de repoussoir, un électorat préférant le FN au Macron de 2017. En PACA, la porosité entre une partie de la droite et le FN est très prégnante ; le parcours de Thierry Mariani a lui seul le prouve.
Thierry Mariani, une tête de liste avantageuse
Ces moments électoraux ont permis au RN de poser les bases de son implantation, de s’assurer de soutiens, de consolider ses réseaux, d’augmenter son personnel politique, d’avoir des salariés, d’attirer plus de bénévoles, de pénétrer le monde associatif et d’asseoir son image notabiliaire.
C’est dans ce contexte que Thierry Mariani, qui a fait toute sa carrière politique à droite (RPR, UMP, LR) est devenu un candidat clef du RN. Après avoir explicitement demandé en 2018 au LR d’envisager la possibilité d’accords avec le parti de Marine Le Pen, ce natif d’Orange a fini par rejoindre la liste du RN en 2019 pour les européennes.
Le parcours de ce candidat est révélateur des nombreux mouvements de certaines personnalités issues de la droite classique, comme Laurent Wauquiez par exemple dont certains dans son camp ont souligné l’ambiguïté à l’égard du FN.
Thierry Mariani est connu et bien ancré dans la région notamment du côté du Vaucluse : il a été longtemps conseiller général du département et maire de Valréas. À partir des années 90, il est conseiller régional de PACA puis ministre des Transports sous François Fillon lors de la présidence de Nicolas Sarkozy.
Cette tête de liste, offre aussi et surtout au RN un vernis notabiliaire en participant de l’entreprise de dédiabolisation initiée par Marine Le Pen depuis qu’elle prit la présidence du parti en 2011 lors du congrès de Tours.
Par sa seule présence, il peut désormais confirmer que la politique de déradicalisation de Marine Le Pen contribue à ne plus faire du vote FN/RN un tabou, un repoussoir.
La région PACA, terre d’alliances favorable au RN
Le vote en faveur du RN est par ailleurs solidement et historiquement implanté en PACA depuis le milieu des années 80.
En 1984, lors de l’explosion électorale du parti lepéniste aux élections européennes, le FN recueille 11,2 % des suffrages exprimés en France ; dans la région du Sud-Est, il atteint déjà plus de 19 points. Deux, ans après lors d’élections législatives en 1986, le FN obtient un score de 19,96 % en PACA, alors qu’il n’est qu’à 9,7 % sur l’ensemble de la France.
Cette avance va se confirmer, voire se renforcer au fil des années.
Les élections régionales donnent lieu, depuis 1986, date de leur installation, à des tractations importantes entre les partis.
Des 1986, le FN vient perturber le jeu des alliances, particulièrement à droite. Dans six régions sur vingt-six à l’époque, la droite fait alliance avec le FN pour arracher une majorité absolue. La PACA y figure avec, en chef de file des tractations, l’ex-maire de Marseille, Jean Claude Gaudin (LR).
En 1998, la droite refuse l’alliance, mais cette fois-ci, cela lui coûte la région, gagnée par le socialiste Michel Vauzelle. Cette stratégie à l’égard du FN portée par Fraçois Léotard à l’époque, a été vertement critiquée par une partie de la droite de l’époque, notamment par Michel Peyrat, l’ancien maire de Nice.
Les jeux d’alliances montrent à quel point, pour la région PACA, le FN puis RN est devenu une variable incontournable de la donne électorale.
Ainsi, les partis de droite comme de gauche doivent soit s’allier avec le FN, soit lui faire barrage, ou encore chercher d’autres alliances afin de le minimiser. Faire sans le RN en PACA est impossible et ce depuis des années. Si aujourd’hui faire sans le FN/RN est impossible dans bon nombre de régions de France comme les hauts de France ou AURA, la PACA a joué comme un sémaphore d’un phénomène local, qui allait se nationaliser, comme nous le montrions déjà dans les années 1990-2000.
Un vote d’adhésion
Cette relation durable se forge de façon quasi essentielle autour d’une motivation de vote qui tourne autour des questions d’immigration.
C’est l’item « immigration » qui agrège la quasi-totalité des électorats en faveur du FN/RN, et ce quel que soient les dissensions sur les autres sujets notamment économiques ou fiscaux.
En effet, l’immigration – venue d’Afrique du nord essentiellement – motive majoritairement le vote en faveur du FN dans cette région ; c’est d’ailleurs sur ce point particulier que j’ai montré dès les années 2000, que nous étions sur certains aspects en présence d’un vote d’adhésion.
En effet, mes travaux et d’autres ont montré combien ce point était crucial voire parfois unique dans les raisons du vote en faveur du parti lepéniste dans cette région.
Or ce terme même d’« immigration » doit être analysé dans la complexité qu’il recouvre pour l’électorat en PACA, pour lequel il fait écho avec des marqueurs identitaires forts : culturels, cultuels, économiques ou historiques.
Cet aspect est particulièrement crucial dans une région où l’on peut trouver une corrélation entre fort vote FN et fort taux d’immigrés, ce qui ne se vérifie pas partout comme le montrent certaines études et cartographies.
Identités locales et traumatismes historiques
Les identités locales et les traumatismes historiques ont joué un rôle important dans le développement de ce vote d’adhésion.
Certains – notamment aujourd’hui les populations les plus âgées – estiment que l’identité provençale qui parcourt toute la région est troublée par des vagues migratoires jugées trop nombreuses.
Par ailleurs, même si on ne peut parler d’un vote pied-noir homogène au risque de réifier la communauté des rapatriés d’Algérie il n’empêche que les études montrent que la filière « rapatriés » a été l’une des composantes de l’extrême droite, notamment liée au rejet de Gaulle. Aujourd’hui cette communauté est vieillissante et le traumatisme historique s’estompe peu à peu, mais ces accointances ont laissé des traces et « le vote pied-noir » se porte volontiers sur la droite, mais aussi sur le FN.
Autre point clef, la dimension cultuelle et le rejet de l’islam sous ses formes les plus visibles, notamment le voile ou les commerces halal.
Les électeurs RN sont aussi sensibles au lien souvent effectué par les leaders frontistes entre immigration et délinquance : « la criminalité est la conséquence de l’immigration » affirmait Marine Le Pen en 2018, un argument qui est aujourd’hui largement décliné autour de « l’islamisme, berceau du terrorisme ».
Cet électorat peut être aussi sensible aux mots de Jean Marie Le Pen au sujet des immigrés qui prendraient le travail aux « Français ». C’est un mot moins présent aujourd’hui au regard de deux éléments : d’une part, Marine Le Pen inclut cette question dans un enjeu plus vaste autour de la mondialisation qui détruit les emplois ; d’autre part, les termes islamistes et migrants sont venus concurrencer le terme « arabe ou immigré »). Certes au cœur du parti RN l’idée d’un « grand remplacement » peut toujours faire florès, mais il n’est plus question de cibler « l’arabe » car celui-ci peut voter potentiellement voter pour le parti frontiste.
Des représentations complexes
Derrière ces motivations, derrière ces termes, il y des représentations complexes. En PACA nous sommes plutôt en face d’un RN droitier qui peut être largement séduit par le parcours et l’image de Thierry Mariani, ce d’autant plus que Renaud Muselier fait alliance avec LREM, un choix qui peut rebuter une partie des électeurs de droite.
Ce coude à coude RN–Droite en PACA aura en cas d’échec ou de victoire pour T. Mariani des conséquences au niveau national. Même si à quelques jours des élections les sondages donnent le RN gagnant, 4 scénarii sont à regarder au regard notamment de la mise en place au second tour d’un front républicain.
Si l’échec RN échoue dans le cadre d’une triangulaire (avec la gauche qui se maintient), la théorie du plafond de verre à l’égard du RN pourra être avancée de nouveau notamment au regard de l’incapacité à rassembler au second tour.
Si l’échec se fait à la faveur d’un front républicain orchestré afin de faire barrage au RN, la colère des électeurs et discours victimaire du RN pourront largement se faire entendre. Si malgré un barrage de type front républicain, le RN l’emporte, la victoire serait alors un triomphe.
Une victoire dans le cas d’une triangulaire serait bien sûr un pied de nez au plafond de verre que connaît ce parti depuis longtemps ; mais surtout une telle victoire serait à la fois une opportunité et un défi.
L’opportunité de démontrer sa capacité à gérer une région aussi importante ; un défi aussi au regard de leur capacité à gouverner cet immense territoire.