Conversation avec Brigitte Métra : entre smart city et human city

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publication du 21/11/2017

Brigitte Métra interviendra le 30 novembre 2017 à 17h dans le cadre des Tribunes de la Presse * à Bordeaux, autour du thème« les villes du futur. Le Futur des villes ». The Conversation est partenaire des Tribunes de la Presse 2017 du 30 novembre au 2 décembre.

Virginie Martin : Les très grandes villes ne semblent plus être aussi attractives : la ville d’aujourd’hui, saturée, trop chère pousse la population à favoriser des villes « à taille humaine ». En France, Bordeaux, Lyon ou Nantes bénéficient d’un mouvement centrifuge qui fait que la ville-capitale Paris est quelque peu délaissée. Alors quid de la ville du futur ? La fameuse smart city va-t-elle enrayer ou au contraire venir renforcer cette tendance ?

Brigitte Métra : L’attractivité d’une ville est symbolisée par sa dynamique économique, son pouvoir politique et ses offres culturelles. Aujourd’hui, nous sommes au point culminant de la courbe de Gauss, un trop-plein généralisé : trop de densité, trop de pollution, trop de stress…

L’individu recherche un retour à la qualité de vie. L’humain reprend le pouvoir au sein de la ville. Celle-ci doit lui offrir plus qu’un travail, elle doit aussi offrir un véritable avenir. Internet permettant de travailler partout il permet un retour à des villes à taille plus humaine, des villes comme Bordeaux, Marseille ou Nantes. Les vibrations y sont plus agréables, comme plus détendues, il y a une qualité d’échange et d’écoute ; la « qualité » de la ville, sa structure, sa fluidité ont un fort impact sur les relations humaines.

Environ 54 % de la population mondiale vit en milieu urbain et près de 70 % y vivront en 2050. Il devient urgent de réfléchir à un mode de faire la ville avant tout au service de l’humain. Je ne suis pas certaine que la smart city telle qu’envisagée aujourd’hui y parvienne.

Une ville dite « smart » devrait répondre aux enjeux autour du « bien vivre ». La smart city, elle, se veut une ville avant tout ultra-connectée, toujours plus connectée, une sorte de ville-machine comme le dit Anthony Townsend.

Pour enrayer cette sensation de mal vivre dans les mégalopoles, ce n’est pas simplement avec des objets connectés que l’on va y arriver. La ville digitale est intéressante, mais elle ne met pas assez l’humain au centre du débat.

V.M. : Le mot smart dans smart city paraît être une sorte de faux ami ! En effet, quand on parle de smart city, on ne parle en fait que de ville et de gens ultra-connectés. Est-ce cela une ville « intelligente » ? Prenons Songdo en Corée du sud, peu y vivent, mais les investisseurs-industriels y sont très heureux ! Où nous amène le monde technologique ?

B.M. : Le concept de « smart » est séduisant, mais il ne suffit pas. La technologie ne permet pas d’être plus heureux selon moi. Il y a effectivement, un côté pratique où la domotique et l’ubérisation de la société sont utiles à nos sociétés. Le big data utilisé à des fins d’analyse prévisionnelle permet effectivement une amélioration de la vie des citoyens mais la course après le temps, bien que séduisante, n’est pas une fin en soi.

Dans les éco-quartiers ou dans les smart cities, de nombreux outils d’entraide et de simplification des tâches quotidiennes sont développés pourtant ce n’est pas seulement ce qui fera qu’un individu se sent bien dans la ville. Il faut poser une dimension essentielle à la ville connectée : est-ce que la ville est développée pour l’humain, est-elle au service de l’humain ou l’humain est-il au service du marketing, de la commercialisation et de la technologie ?

Les technologies sont une révolution mais elles peuvent aussi asservir l’individu le rendre esclave de l’intelligence artificielle, et au service de quoi et de qui ? Du « marché » ? Il faut absolument se recentrer sur l’humain qui lui, fait ville.

V.M. : Pour vous, il faut donc penser (repenser) la ville. Pierre Ansay interprète la ville comme l’empire des bureaucraties privées et de l’état, il fait une critique de la ville qui serait sous le joug d’une certaine forme de capitalisme avec des contrats juteux mais dans laquelle l’humain et la démocratie seraient oubliés. La smart city ne serait-elle qu’une juxtaposition « d’appli » qui ne communiqueraient pas entre elles, une ville hyper-connectée mais qui a oublié la cité et son agora ?

B.M. : La ville est pensée en silos sur fond de financiarisation de la ville. Dans la construction, la commande publique est de plus en plus transférée à la commande privée. Une lourde tendance qui concerne environ 80 % des logements et des immeubles tertiaires. Les immeubles de logements et de bureaux se transforment en produits financiers dont les investissements sont beaucoup plus rentables que des placements classiques. Cela positionne souvent la qualité architecturale et les besoins des individus au second plan.

La smart city est souvent mise en avant par des groupes industriels, des investisseurs et des promoteurs. Mais il faut que l’économie et la finance servent la ville et ses habitants, pas l’inverse. Un développement « raisonné » et équilibré est indispensable.

De très belles villes se sont construites comme cela. New York en est un exemple mais la population n’y reste que quelques années. Il ne faut pas que la smart city soit seulement un vernis qui permet de vendre mieux et plus cher : conciergerie partagée, sécurité renforcée, chauffage à distance, consommation d’énergie, partage des places de parking…

La ville sera réellement « intelligente » par exemple quand elle sera capable d’abriter tous ceux qui sont dehors, dans la rue…

On pense au « vivre bien » mais il faut penser au « se sentir bien ». Il faut élargir la réflexion et faire parler aussi les émotions et le besoin de cité, polis, d’agora- de ville collective autant que de ville connectée.

V.M. : La mondialisation ayant frappé de plein fouet les villes avec la standardisation des centres commerciaux et des marques, et cela, même dans les pays les moins développés, les smart cities ne vont-elles pas pousser l’uniformisation au stade supérieur ? Pour vous, est-ce qu’il y a une smart city ou des smart cities ?

B.M. : Construire une ville de toutes pièces, une smart city est un défi complexe, la ville de Songdo, est un bon exemple ; smart city par excellence, mais insuffisamment humaine, ses fondateurs n’arrivent pas à la « vendre ».

L’humain, la lumière, l’environnement, les animaux participent au fait que l’on se sent bien dans une ville. Pour l’habiter, la visiter, la vivre, la ville doit faire sens.

Les villes ultra-connectées uniformisent et par conséquent appauvrissent la richesse culturelle et l’identité culturelle. Si la ville doit être « smart » il faut y conserver sa diversité. La smart city est une évolution « naturelle » des techniques, mais la technologie ne doit pas effacer toutes les différences.

V.M. : André Branzi parle de « coexistence planétaire » entre toutes les entités technologique, animale, humaine… Mais finalement, est-ce que la ville du futur, ne serait pas une ville sans ville ! ?

B.M. : Il ne faut pas tout jeter en bloc mais il faut être prudent. Par exemple, le développement durable instauré dans certaines villes est nécessaire. La ville doit muter, se régénérer, on peut la comparer à un organisme vivant, qui évolue, se sépare en plusieurs cellules et se reforme différemment. Il faut réparer l’organisme qui souffre.

En fait, la smart city devrait être une « human city », on aurait une vraie révolution paradigmatique. Par exemple, l’intelligence de la ville serait de déplacer un arrêt de bus trop éloigné, et de le positionner en bas d’une résidence de personnes âgées. On faciliterait la vie des gens parce qu’on construirait la ville pour les gens, penser l’humain au cœur des problématiques.

V.M. : En quoi votre architecture, Brigitte Métra, peut-elle apporter à la Human City ?

B.M. : À chacun des projets, je prends en compte la ville en tant que matériau, l’environnement dans lequel s’insère le projet, je porte un regard sur le passant, sur l’utilisateur selon le rôle du bâtiment et de chaque pièce. Mon objectif est de créer un dialogue entre ce qui existe et celui qui se promène ou qui le vit.

La ville a une personnalité et les façades sont comme une peau qui parle, la matière doit être vivante, les formes et les couleurs racontent une histoire, la lumière qui entre de l’extérieur vers l’intérieur doit être en osmose avec la fonction de la pièce, je mets un point d’honneur à me mettre à la place de l’humain.

Pour la Philharmonie de Paris, j’étais à la place du musicien, du chef d’orchestre et du public. Chaque spectateur devait voir, se sentir bien et sentir la musique. Chaque musicien doit entendre et sentir la musique, le public. Chaque individu doit se sentir en osmose. À Nantes aussi, je me suis mise à la place de l’habitant, j’ai pris en compte la nature environnante.

Pour le projet de Paris Pyrénées dans le XXe arrondissement, l’objectif était pour le centre-bus d’apporter à l’agent de la RATP de la lumière naturelle en sous-sol. J’ai donc imaginé une dalle qui fasse pénétrer la lumière et soit agréable pour ceux du dessus : un jardin partagé et un microcosme végétalisé. Aussi ce havre de paix intérieur répond à la façade urbaine dynamique et vivante, écho de la ville.

V.M. : Alors plus qu’une human city, on peut parler d’une well-being city ? La ville du futur doit être une ville où le bien-être et l’épanouissement dans la ville sont au centre ?

B.M. : Le bien-être est un terme peut-être trop galvaudé, mais on peut parler d’une light city qui ne s’impose pas à l’individu, elle est légère, lumineuse, fluide, respectueuse. Un espace que l’on intègre sans être opprimé.

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