Après avoir adopté la directive sur le devoir de vigilance européen (CS3D) le 24 avril 2024, le Conseil de l’UE a approuvé in extremis, le 17 juin 2024, avant le renouvellement des eurodéputés et à une courte majorité, le règlement sur la restauration de la nature que le Parlement avait voté en février. Ce texte a finalement obtenu la majorité nécessaire grâce à la ministre autrichienne de l’Environnement, Leonore Gewessler, qui a changé sa position :
« Je sais que je serai confrontée à l’opposition en Autriche, mais je suis convaincue que le moment est venu d’adopter cette loi »
Pierre angulaire du volet biodiversité du Pacte vert (Green Deal) européen lancé en décembre 2019 par la Commission européenne, ce texte marque une étape importante dans la nécessaire redéfinition de notre rapport à la nature.
Un constat alarmant
50 %. Telle est, selon la Banque mondiale, la part du PIB mondial qui dépend des ressources naturelles, soit 44 000 milliards de dollars. Au niveau mondial pourtant, la perte de biodiversité est unanimement constatée. L’IPBES, Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la Biodiversité et les services écosystémiques, alerte :
« La nature décline globalement à un rythme sans précédent dans l’histoire humaine et le taux d’extinction des espèces s’accélère, provoquant dès à présent des effets graves sur les populations humaines du monde entier »
Les cinq grands facteurs à l’origine de l’érosion de la biodiversité et qui menacent nos modes de vie sont l’artificialisation des milieux naturels, la surexploitation des ressources, le changement climatique d’origine humaine, la pollution et les espèces invasives et envahissantes. En Europe, 80 % des habitats sont en mauvais état, 10 % des espèces d’abeilles et de papillons sont en risque d’extinction, 70 % des sols sont en mauvaise santé.
L’Europe s’était déjà dotée d’un outil pour préserver la biodiversité : le réseau Natura 2000. Dans les zones labellisées, les acteurs territoriaux sont invités à « rechercher collectivement une gestion équilibrée et durable des espaces qui tienne compte des préoccupations économiques et sociales ». Le nouveau règlement européen s’y ajoute pour fixer des objectifs et des obligations juridiquement plus contraignants. L’objectif est de restaurer au moins 20 % des zones terrestres et maritimes de l’UE d’ici 2030 puis tous les écosystèmes dégradés d’ici 2050. Cet objectif général sera décliné par type d’écosystème (marins, forestier, agricoles, urbains) en fonction des réalités environnementales de chaque pays de l’UE.
Les États membres devront adopter des plans détaillés pour atteindre ces objectifs en donnant la priorité aux zones protégées Natura 2000. Chacun disposera d’un délai de 2 ans pour élaborer des plans nationaux de restauration de la nature en précisant les superficies à restaurer ainsi qu’un calendrier jusqu’en 2050.
Un dispositif supplémentaire
D’autres dispositifs de protection de zones existent, par exemple le label « Géoparc » de l’Unesco. Au niveau mondial, 213 sites ont obtenu ce label dans 48 pays dont 9 en France. Sous l’égide des Nations – Unies, l’IPBES qui regroupe 130 gouvernements, est également chargé de « fournir aux États, au secteur privé et à la société civile des évaluations scientifiques crédibles, indépendantes et actualisées des connaissances disponibles afin de prendre des décisions mieux informées et des mesures aux niveaux local, national, régional et international »
Au niveau national, la biodiversité est gérée par l’Observatoire national de la Biodiversité (ONB) qui établit un bilan à travers 10 indicateurs clés. En 2024, cet organisme relève, par exemple, que 16 % des espèces de faune et flore sont menacées ou se sont éteintes en France en 2023 et que, au printemps, les oiseaux migrateurs arrivent 4,7 jours plus tôt en métropole en 2022, par rapport à 1986.
Malgré ces acteurs en place, le règlement sur la restauration de la nature marque bien une rupture avec le passé en affichant une ambition forte. On peut relever par exemple l’obligation faite aux états membres de l’UE de planter 3 milliards d’arbres supplémentaires d’ici 2030 ou de restaurer au moins 25 000 kilomètres de cours d’eau à courant libre. Dès sa promulgation au Journal officiel de l’UE, le règlement sur la restauration de la nature est d’application directe dans le droit national de chaque état membre. Fixant des objectifs communs et une évaluation périodique, il harmonise la politique écologique européenne. Dans ce cadre, l’Agence européenne pour l’environnement publiera des rapports techniques de façon régulière pour suivre l’avancement des plans d’action par rapport aux objectifs.
Un nouveau levier de protection des droits de la nature ?
Ce règlement pourra-t-il nourrir les arguments de celles et ceux qui s’en remettent à la justice pour faire accélérer la transition verte ? Le Grantham Research Institute de la London School of Economics (LSE) vient de publier une étude sur les litiges liés au changement climatique concernant les entreprises et les États.Les chercheurs de cet institut relèvent une multiplication des procédures judiciaires au niveau mondial.
Les cas de « climate-washing » se sont multipliés au cours des dernières années (47 cas en 2023) et ont conduit dans 70 % des cas à un jugement en faveur des plaignants. Avec de nouvelles affaires déposées devant la Cour européenne des Droits de l’Homme, la Cour internationale de justice ou la Cour interaméricaine des droits de l’Homme, les experts estiment :
« 2023 a été une année importante pour les contentieux internationaux liés au changement climatique“,
Marine Camet, avocate des droits de la nature, relève qu’il convient désormais de « changer de schéma de pensée pour faire face à la destruction du vivant ». La directive européenne sur la restauration de la nature pose les jalons d’un changement profond dans le mode de fonctionnement des entreprises et des États qui vont devoir considérer la nature comme une ressource à préserver plutôt que comme un actif à exploiter à l’infini.
Le Pacte vert européen, outil central de la stratégie de développement durable de l’UE, s’enrichit ainsi par le règlement sur la restauration de la nature, vraisemblablement le plus important pour la biodiversité européenne depuis 30 ans_. Tous ces textes doivent permettre une évolution des règles juridiques et comptables : d’une part, en garantissant de plus en plus les droits de la nature, d’autre part, en intégrant dans le cadre comptable les coûts de restauration des écosystèmes et des ressources naturelles.
À l’aube de la sixième crise d’extinction du vivant, il semble urgent d’agir, de passer d’une économie de la prédation à une économie de la « coévolution ». Après la COP 15 de Kunming-Montréal qui a fixé le cadre de l’action internationale face à la crise de la biodiversité et avant la COP 16 qui se tiendra en Colombie en octobre 2024 et qui devra évaluer l’état de l’avancement des mesures prises au Canada, l’Europe pose des bases solides pour la restauration de la nature.