Eric Pichet est directeur du programme IMPI-Gestion Patrimoniale et Immobilière
Le déficit public français sera-t-il ramené à 2,7 points de PIB en 2027 ? C’est en tout cas l’objectif affiché par la loi de programmation des finances publiques (LPFP) qui définit la trajectoire pluriannuelle des finances publiques jusqu’à cette date et qui a finalement été adoptée le 29 septembre 2023 après avoir été retoquée par l’Assemblée nationale en décembre 2022.
On peut sérieusement en douter. En effet, de 2012 à 2021, aucune des cinq premières LPFP n’a atteint ses objectifs de réduction du déficit public et la crise du Covid-19 en 2020 n’a fait qu’aggraver les choses puisque le déficit public est encore attendu à 4,9 % en 2023 bien au-delà du seuil de 3 %. En conséquence, la dette publique atteint 110 % du PIB, un niveau supérieur à la moyenne des pays de la zone euro et bien supérieur à celui de l’Allemagne.
Trajectoires de dette publique en zone euro (en points de PIB). Haut Conseil des finances publiques (septembre 2023)
Cette fois-ci, assise sur des hypothèses de croissance que le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) estime trop optimistes, la LPFP 2023-2027 prévoit, une fois encore, une décrue progressive du déficit, alors même que le poids de la charge d’intérêts va s’alourdir considérablement sur la période du fait de la remontée des taux d’intérêt.
Prévision de baisse de dépenses jamais vue
Ce sont surtout les prévisions de dépenses de la LPFF qui sont irréalistes. Hors charges d’intérêts, elles seraient quasi stables en volume sur la période (+0,1 % par an), ce qui représente une trajectoire bien plus ambitieuse que celle réalisée par le passé, le plus bas jamais atteint étant +0,9 % entre 2010 et 2014. Mais même sur la base des prévisions de la LPFP, avec un déficit public attendu à 2,7 % en 2027, la France serait le dernier pays de l’Union européenne à passer en dessous de 3 %.
Comme les secteurs prioritaires que sont l’écologie, la défense, l’éducation nationale et la justice bénéficieront d’une hausse substantielle de leur budget, les crédits des autres programmes doivent baisser de 1,8 % en volume sur la période. Du jamais-vu.
Taux de croissance de la dépense publique (hors charges d’intérêts) en volume (en %). Haut Conseil des finances publiques (septembre 2023)
Pour tenir cette trajectoire, il faudrait un audit déterminé des dépenses qui n’a pas débuté. D’ailleurs, les quatre démarches successives de modernisation de l’État depuis 20 ans, comme la Révision générale des politiques publiques de 2007-2011 ou la Modernisation de l’action publique de 2011-2016, n’ont jamais abouti. D’onéreuses sociétés de conseil privées ont pourtant été mobilisées mais ces audits sont toujours restés sans impact sur les dépenses publiques…
Première étape de la LPFP, le projet de budget pour 2024 n’annonce qu’une modeste diminution de 0,5 % du déficit public à 4,4 % du PIB. Pourtant, le taux de croissance retenu par le gouvernement en 2024, de 1,4 %, reste très largement supérieur au consensus des analystes qui est de 0,8 %.
En réalité, cette modeste réduction proviendrait uniquement de l’arrêt des mesures de soutien exceptionnelles au pouvoir d’achat pour environ 16 milliards d’euros (fin du bouclier tarifaire énergétique de 10 milliards et recentrage des aides aux entreprises de 4,4 milliards), les autres dépenses étant attendues en hausse de 4,8 % en valeur (2,2 % en volume) soit très loin de l’ambition de moyen terme.
L’UE va-t-elle discipliner la France ?
Comment amener le gouvernement à annoncer des objectifs plus réalistes ? En France, le Haut Conseil des finances publiques, en charge du suivi des LPFP depuis sa création en décembre 2012, n’a jamais vraiment contesté les évaluations souvent fantaisistes du déficit structurel (qui exclut les variations conjoncturelles de l’économie mais qu’il est impossible de mesurer directement) publiées par les gouvernements successifs.
Quid des contraintes de l’Union européenne ? Face aux dérives budgétaires récurrentes des cigales, le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) de 2012, ou pacte budgétaire européen, avait imposé aux 25 États signataires des règles budgétaires plus strictes. En France, la loi organique du 17 décembre 2012 a transposé dans la foulée le traité en renforçant le rôle d’un véhicule législatif introduit lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 : les lois de programmation des finances publiques, chargées à l’origine de définir les orientations pluriannuelles (sur 3 ans minimum) des finances publiques dans un objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques.
Ces lois restent cependant budgétairement non contraignantes car elles n’ont pas la nature juridique des lois de finances. C’est pourquoi pour faire passer la LPFP 2023-2027 en usant du 49.3 le gouvernement a opportunément convoqué une très brève session extraordinaire de l’Assemblée nationale le 25 septembre 2023, soit juste avant la session ordinaire, s’épargnant ainsi une cartouche utile pour la session en cours.
Par la grâce du TSCG, les LPFP sont ainsi devenues le support des engagements européens via le suivi du déficit structurel. Ce concept clé du pacte, malgré sa délicate évaluation, doit converger vers un maximum de 0,5 % du PIB (il est aujourd’hui proche de 5 % et le gouvernement vise un objectif de 2,7 % en 2027).
En raison de la pandémie de Covid-19, la Commission européenne avait déclenché en 2020 la clause dérogatoire du Pacte de stabilité et de croissance, qui permettait aux États membres de s’écarter temporairement de ses exigences en raison de circonstances exceptionnelles, mais cette clause tombera à la fin de l’année 2023.
Dans le même temps, Bruxelles propose une refonte des contraintes budgétaires qui abandonnerait la référence au déficit structurel mais renforcerait les sanctions financières en cas de déficit excessif, supérieur à 3 % du PIB. Nul ne sait aujourd’hui ce que les États signataires du Pacte accepteront, mais la renégociation du Pacte sera tendue entre les pays « frugaux » et bons élèves en matière de finances publiques emmenés par l’Allemagne et les cigales dont la France est devenue malgré elle le symbole.
L’ombre des marchés financiers
En l’absence de réelles sanctions européennes, les marchés financiers joueront sans doute le rôle de censeur des politiques budgétaires. La brutale hausse des taux longs qui a suivi la remontée des taux courts de la Banque centrale européenne (BCE) depuis plus d’un an renchérit significativement le coût de la dette publique, le taux de l’obligation allemande à 10 ans (la référence en zone euro) ayant franchi la barre des 3 % le 4 octobre dernier, une première depuis 2011.
Parallèlement en France, non seulement le taux de l’obligation assimilable du Trésor (OAT) à 10 ans a connu une hausse spectaculaire de 38 points de base en un mois pour atteindre 3,5 % (au-delà de la prévision gouvernementale de 3,4 %) mais le fameux « spread », qui désigne l’écart entre les taux français et allemand (soit le surcoût que l’État français doit payer pour emprunter) et que les marchés suivent avec attention tend à s’élargir et atteint aujourd’hui les 50 points de base.
Pour assurer le rétablissement des finances publiques françaises, nous estimons donc que la seule solution efficace serait d’effectuer un saut vers un plus grand fédéralisme. En 1998 la création ex nihilo d’une banque centrale commune puis d’une monnaie unique par des États souverains constituait alors un défi monétaire historique qui dépassait le précédent américain : en 1792, les 13 États fondateurs avaient décidé, en même temps que le dollar, la création d’un État et d’un Trésor fédéral disposant d’une autonomie budgétaire et reprenant l’intégralité des dettes des États fédérés. Rien de tel dans la zone euro, puisque les 13 membres fondateurs de l’euro conservaient jalousement leur prérogative budgétaire et fiscale.
Dans un système plus fédéraliste, la souveraineté budgétaire de la zone euro pourrait ainsi être transférée à un organisme supranational s’inspirant du modèle de la BCE. Les États conserveraient toutefois, dans les nouvelles limites budgétaires européennes, leur sacro-sainte souveraineté fiscale.