La 76e édition du Festival de Cannes bat son plein, avec son défilé habituel de stars sur tapis rouge dont les moindres faits et gestes sont scrutés par les fans et les médias du monde entier. Cependant, si les acteurs et réalisateurs vedettes semblent toujours attendus et admirés, leur statut a considérablement évolué en un siècle.
En janvier 2023 sortait sur les écrans français Babylon de Damien Chazelle, allégorie de l’âge d’or hollywoodien. Si le film n’a pas rencontré le succès escompté en dépit de la présence de stars très « bankables » comme Brad Pitt ou Margot Robbie, il fait référence (comme en leur temps Une Étoile est née, The Artist ou encore The Aviator) à la glorieuse époque d’une industrie adorant mettre en scène ses coulisses et célébrer son passé.
Cependant, la fabrique à rêve a bien changé en 100 ans. Pour Nolwenn Mingant, spécialiste de la circulation internationale du cinéma hollywoodien, la stratégie des studios, contrôlés par de grands groupes multimédia, consiste désormais à gérer des marques mondiales en concentrant l’essentiel de leurs ressources sur quelques blockbusters devant être rentabilisés au maximum.
Cette citation du producteur Bill Mechanic, lue dans Télérama, est symptomatique de l’état d’esprit ambiant de l’industrie des années 2000 :
« Nous vivons une période alarmante. Hollywood ne s’intéresse plus au cinéma. Les dirigeants des studios se consacrent à la fabrication de gadgets, l’industrie est écrasée par le marketing. Si rien ne se passe, nous courons à notre perte. »
De leur côté, les artistes, qui ne sont plus forcément l’élément central du système, ont vu leur statut évoluer favorablement vers plus d’indépendance, de liberté et d’opportunités quant aux choix de carrière et à la valorisation de leur image – en tous cas pour les plus connus et les plus chanceux d’entre eux.
L’invention du star-system par Hollywood
Même si les célébrités existaient avant l’invention du cinéma (on pense par exemple à la grande Sarah Bernhardt), le star-system a généralisé une pratique commerciale consistant à vendre certaines productions en misant sur l’exposition de la vie privée des premiers rôles. Les acteurs représentaient alors le vecteur d’attractivité numéro 1 d’un public.
Les grands studios ont systématisé cette approche, dans un système où la personnalité des acteurs prévalait sur le film. À côté des performances à l’écran, le quotidien et l’intimité des artistes allaient également représenter des histoires exploitables par l’industrie des médias inventant pour l’occasion le « gossiping » et la presse people.
Françoise Benhamou explique, quant à elle, comment était appréhendée, valorisée et exploitée la valeur de la célébrité à Hollywood, pensée comme « marchandise totale », nécessitant « d’importants investissements », faisant appel à « diverses techniques industrielles de rationalisation et de standardisation ».
Sous le règne des grands studios (Paramount, MGM, Warner Brothers, 20th Century Fox, RKO) des années 30 aux années 50, l’ensemble des personnels – des acteurs célèbres aux moins célèbres en passant par les techniciens, les scénaristes ou les réalisateurs – devait ainsi se soumettre aux diktats de ces sociétés de production.
Les franchises, vraies stars du système actuel
Du Robin des Bois de Douglas Fairbanks tourné artisanalement en studio en 1922 aux derniers Mission Impossible dont les tournages se déroulent dans plusieurs pays et dont les intrigues nécessitent des moyens logistiques et techniques complexes, les modes de fabrication des films ont considérablement évolué en 100 ans.
Mus par des objectifs de rentabilité, les studios exploitent principalement des franchises internationales, pensées comme des marques globales avec leurs différentes dimensions annexes (jeux vidéo, séries dérivées, édition, musique, produits dérivés), fidélisant, épisode après épisode, des millions de fans au travers le monde, à l’affût de la moindre information et désireux de connaître les univers dans leur moindre détail.
Le succès des franchises ne se dément pas, comme en témoigne la simple consultation du box-office mondial de 2022. Les huit premières places sont trustées par des blockbusters issus du monde des super héros (Dr Strange, Black Panther, Thor, Batman) ou de l’animation (les Minions) parmi lesquels un nombre important de suites (Avatar, Top Gun).
Fonctionnant sur des principes éprouvés du concept marketing d’extension de marque, l’industrie cinématographique investit l’essentiel des ses ressources sur des extensions de ses franchises qu’il s’agisse de suites, de prequels, de spin-offs, de sidequels, de remakes ou de reboots.
Jeu vidéo édité par Naughty Dog, Uncharted a connu par exemple une déclinaison cinématographique considérée comme un succès au box-office et deviendra bientôt l’une des attractions majeures du parc d’attractions Port Aventura en Espagne.
Ce tournant hyper commercial d’Hollywood a été dénoncé par de nombreux professionnels comme David Fincher qui a déclaré lors d’une interview : « À Hollywood, les films sont devenus avant tout des annexes des parcs d’attractions. Les personnages de cinéma sont souvent pensés hors de toute nécessité narrative ».
Des artistes plus éclectiques et plus visibles
Moins dépendantes des studios que par le passé où elles étaient aussi attendues par le public dans un genre spécifique (John Wayne ou Fred Astaire ont capitalisé toute leur carrière sur un type d’interprétation), les stars établissent dorénavant leurs choix de carrière en fonction de critères plus diversifiés : les Brad Pitt, Leonardo DiCaprio ou Scarlett Johansson changent fréquemment de registre et sont reconnus pour leur aptitude à incarner des personnages très différents.
Même des interprètes hyper spécialisés n’hésiteront pas à faire évoluer leur positionnement afin de gagner en crédibilité et conquérir un nouveau public : Jim Carrey est ainsi passé de la comédie à la comédie dramatique avec Man on the Moon, Stallone de l’action au film policier avec Copland.
Outre cet élargissement de leur palette de performance, de nombreux artistes diversifient leurs cibles en matière de production, naviguant entre films indépendants, franchises d’animation où ils « prêtent » leur voix et blockbusters, tout en signant également des contrats avec des plates-formes de streaming : David Fincher, Spike Lee, Ryan Reynolds ou Will Smith travaillent avec Netflix.
Michael Keaton est l’archétype de cet éclectisme moderne, ayant joué dans toute sorte de productions, tour à tour super héros dans Batman, Spider Man et The Flash, voix de personnage chez Pixar pour Cars et Toy Story, et vu dans Les Sept de Chicago sur Netflix ainsi que dans de nombreuses productions indépendantes ou à petit budget.
Par ailleurs, les opportunités de rentrer en contact avec les fans sont plus fréquentes que par le passé. En dehors d’une occupation principale d’interprète pouvant fluctuer selon l’intérêt du public, les choix des agents et l’activité des studios, les célébrités valorisent davantage leur image (même si les contrats publicitaires ont toujours existé). Les collaborations publicitaires (ou « endorsement ») entre les acteurs et des marques d’industries diverses (agroalimentaire, luxe, cosmétique, sport, automobile) prolifèrent tout comme les investissements des personnalités au sein de business spécifiques – Ashton Kutcher a des prises de participation dans des dizaines de sociétés – ainsi que dans la création d’entreprises – Hugh Jackman a fondé une entreprise de café, Laughing Man Coffee.
Mentionnons, enfin, les réseaux sociaux, à la fois outil de communication instaurant un lien quasi permanent avec les fans, témoin de la popularité de l’artiste et instrument de contrôle et de valorisation de son image à travers les posts sponsorisés.
La visibilité tue-t-elle la célébrité ?
Toutes ces considérations autour d’opportunités démultipliées de visibilité conduisent in fine à poser le parallèle entre l’omniprésence de la célébrité d’aujourd’hui versus l’idée ancienne de la star hollywoodienne inaccessible sur papier glacé. Les icônes du cinéma partagent désormais l’espace médiatique avec des personnalités d’autres sphères tout aussi mondialement connues. L’exemple des athlètes est particulièrement instructif, une poignée d’entre eux pouvant être considérée comme des stars jusqu’aux années 80 (Mohamed Ali, Pelé, Borg) alors qu’aujourd’hui, les sportifs de la NBA, du football, de la formule 1 et du tennis (parmi tant d’autres) trustent les émissions télévisées et les écrans publicitaires, tout en étant glorifiés et adulés par de nombreuses communautés de fans.
Dans le même temps, les audiences des grandes cérémonies du cinéma déclinent aux États-Unis, dénotant peut-être une lassitude du public vis-à-vis du phénomène d’autocélébration, héritage de l’époque glorieuse d’Hollywood.