Il n'y a pas d'idéologie en matière d'économie

Autre

publication du 17/02/2017

Classer, coder, modéliser, corréler, évaluer… Il est de bon ton depuis des années de faire passer l’économie pour une science objectivable, mathématisable, une science qui détiendrait la vérité, une science qui aurait si bien construit sa déification qu’on ne pourrait plus rien lui opposer. En effet, qu’opposer à « la vérité » si ce n’est le mensonge et l’erreur, voire la folie ?

En bon décodeur des lieux de la domination Michel Foucault écrivait dans les années 70 : 

Je pense à la manière dont les pratiques économiques, codifiées comme préceptes ou recettes, éventuellement comme morale, ont depuis le XVIe siècle cherché à se fonder, à se rationnaliser et à se justifier…

Michel Foucault, 1971

Autant de rationalisation qui offre à tous les outils de coercition leur justification.

Car c’est là tout l’enjeu : rationaliser, mathématiser, chiffrer pour imposer un discours, pour le faire apparaître, comme le dit Foucault, comme un discours de vérité. Une construction bien étudiée faisant passer toute autre analyse comme farfelue et non fondée. Dans cette construction, la donnée chiffrée n’est que la partie visible de l’iceberg, elle participe au phénomène de croyance, à la construction mythique du monde économique ou de gestion qui saurait-serait la vérité. Car, il est bien sûr nécessaire que l’on « croie » au discours ; jeu de pouvoir et données chiffrées participent de cette croyance.

Le désencastrement de l’économie

Dans cette dynamique, les économistes – et l’économisme – ont aujourd’hui une position centrale, autour d’une croyance collective légitimée notamment grâce à l’hypothèse de la naturalité de l’Homo œconomicus, constitutive du discours de l’économie et indissociable de l’hypothèse de la naturalité du marché. Dans ce cadre, les outils quantifiés servent de caution. Car plus une science est dure, mathématisée, plus son degré d’historicité est présenté comme faible. Plus une science est exotique, molle, qualitative, plus son degré d’historicité est présenté comme fort. Le sociologue des sciences Bruno Latour montre que ce partage des tâches est le résultat d’un a priori d’asymétrie entre les sciences.

Cette construction de croyances, de rapports de force gagnés par l’économie mainstream a tellement triomphé qu’elle finit par faire dire à un ancien Premier ministre (Manuel Valls) : « Il n’y pas d’idéologie en matière d’économie » (lors du débat des primaires de la belle alliance populaire, en janvier 2017).

Le désencastrement de l’économie, concept par lequel Karl Polanyi désigne l’autonomisation grandissante des relations économiques par rapport aux diverses logiques sociales, trouvait ici son expression formelle la plus achevée.

Tout se passe comme si l’économie était une science-vérité quant aux comportements des acteurs ou agents, comme si le calcul généralisé et universalisé produisait des résultats neutres et non politiques.

La transposition dans le monde de l’entreprise peut aussi se faire : les outils de gestion proposés par les firmes seraient-ils toujours rationnels, apolitiques, pertinents ; seraient-ils tout simplement la vérité ?

Ce point de vue confine bien sûr à l’absurde et nous savons que les outils de gestion sont aussi des outils politiques (comme le montrent les travaux liés aux critical management studies) contenant des dynamiques de coercition.

Déconstruire les mythes

D’ailleurs, des chercheurs comme March ont qualifié de mythe la rationalité de l’entreprise (March, 1999). Dans ses travaux il montre que celle-ci ne peut plus prétendre à justifier toutes ses actions et décisions au nom d’une supposée « rationalité » – une rationalité faisant écran à tout éventuelle critique des choix adoptés. March a largement remis en cause cette rationalité et le fait que toutes les décisions et actions menées pourraient se justifier par une analyse parfaite des situations – ce qui est bien sûr impossible et qui lui fait dire que la rationalité de l’entreprise et des décisions prises est donc limitée.

De même, si l’on en croit ceux qui ont cherché à limiter dans les années 80 les dépenses publiques, le sacro-saint chiffre de 3 % de déficit autorisé en fonction du PIB relèverait plus de la communication que d’une stricte réalité économique. Autrement dit ce chiffre aurait pu être différent, ou construit sur d’autres critères.

Enfin, il semblerait qu’une vision critique et politique des sphères économique et managériale soient proposée, notamment par le candidat Hamon certainement inspiré par les chercheurs autour de lui. Oxford et Cambridge sont cités car, contre toute attente pour ceux qui croient aux thèses mainstream, ce sont dans ces lieux, à une heure à peine de Londres que sont notamment pensées ces approches critiques.

En d’autres termes, une révolution profonde se fait entendre et permet enfin d’imaginer un avenir économique différent et surtout de déconstruire des mythes – ce qui, pour celui qui se consacre à un travail de recherche, est toujours un exercice indispensable.

Lire plus d'articles de KEDGE sur The Conversation