En la matière, la recherche distingue clairement deux approches ; l’école processuelle où la crise résulte de dysfonctionnements antérieurs non traités et l’école événementielle dans laquelle elle est difficilement prévisible.
Ces événements peuvent marquer durablement les esprits du fait de leur importante médiatisation démultipliée aujourd’hui par la caisse de résonance des médias sociaux. Au-delà de la phase très émotionnelle et choquante suscitée par la révélation de la problématique au grand public (un avion s’est écrasé, un bateau déverse des tonnes de pétrole dans la mer, on a trouvé des traces de benzène dans du Perrier, un client de chez Quick est décédé), la crise peut s’installer dans la durée et devenir un feuilleton médiatique aux multiples rebondissements et procédures (Volkswagen et les moteurs truqués, le Crédit lyonnais et Bernard Tapie, la Société Générale et Jérôme Kerviel).
Les conséquences de ces crises sont également variées, d’un affaiblissement de l’image de marque et de la réputation de l’entreprise à une chute des ventes pouvant aller jusqu’au boycott en passant par des incidences négatives en interne comme la démotivation des employés. Comme l’analyse de manière exhaustive Thierry Libaert dans son ouvrage « Communication de crise » paru en 2018 chez Pearson, gérer une crise représente un processus complexe, généralement anticipé par des grands groupes mettant en place une organisation, des procédures précises parmi lesquelles la communication s’avère un outil primordial.
Même si les entreprises anticipent les situations critiques, la communication de crise reste un art délicat, pouvant être résumée à certains scénarios types dont l’efficacité dépend de plusieurs facteurs contextuels (industrie concernée, actualité encombrée ou pas). Une stratégie peut donc porter ses fruits dans un cas et s’avérer improductive dans un autre.
C’est pourquoi il est si difficile d’établir de bonnes pratiques en la matière. De nombreux analystes ou chercheurs ont décrit plusieurs postures possibles, du silence au déni en passant par la reconnaissance, les excuses ou la contre-attaque, à adopter en fonction du contexte et de l’historique de l’organisation concernée.
Du silence à la reconnaissance
Tout d’abord, la stratégie du silence. Cette stratégie consiste à ne pas vouloir alimenter le feu médiatique. Elle est de plus en plus rare en raison de la qualité des enquêtes menées par les autorités de contrôle et de certains médias, ainsi que par la vitesse de circulation des rumeurs via les réseaux sociaux. Si vous ne parlez pas, vous prenez le risque que d’autres le fassent à votre place. C’est notamment ce qui arriva à Disneyland Paris lors d’un accident survenu sur l’attraction Pirates des Caraïbes en 2013.
Des processus extrêmement lourds ou la culture de communication de l’entreprise sont généralement les principaux éléments explicatifs de cette stratégie du silence. Quand Lactalis a été confronté à une vingtaine de cas de salmonellose chez des bébés en 2018, le premier groupe laitier au monde a tardé à réagir, ce qui n’est guère surprenant lorsqu’on sait que l’entreprise communique peu, ne publie pas ses comptes et que son président, onzième fortune de France, est un inconnu du grand public.
Des options plus offensives peuvent aussi être utilisées dans certains cas. Ces stratégies de contre-attaque, de détournement (déplacer l’angle de perception de la crise sur une autre contingence) sont l’apanage de la politique (affaire Fillon) et du sport (affaire VA OM) où les mises en accusation génèrent des réactions particulièrement violentes. Tel est le parti pris de Carlos Ghosn dont les avocats viennent de publier une vidéo où l’ancien patron de Renault-Nissan dénonce un complot lié à la peur de la convergence, menace de citer des cadres dirigeants et attaque le management de Nissan, omettant le fond du dossier et les instructions en cours.
Plus fréquemment employée, la stratégie de la reconnaissance des faits permet à l’entreprise de mettre fin aux rumeurs et d’assumer la crise. Dans cette optique, il est généralement judicieux de donner une estimation chiffrée la plus précise possible, par exemple à travers les procédures de rappel de produits rencontrées dans les industries automobile et agroalimentaire. Cette posture donne l’impression que l’entreprise a pris sérieusement et scientifiquement la mesure du problème (tant de voitures de tels modèles de telles années sont concernées, tant de lots commercialisés chez tel distributeur).
Qui parle ?
La reconnaissance s’accompagne généralement d’excuses, plus ou moins solennelles en fonction des cas. En effet, si les dirigeants d’Adidas se sont très platement et naturellement excusés après à une maladresse de communication lors du marathon de Boston (« Félicitations, vous avez survécu au marathon de Boston », le distributeur sportif français Décathlon a dans un premier temps défendu son lancement d’un hijab de course, malgré les polémiques. Mais l’enseigne a dû finalement renoncer à la commercialisation du produit en France face à la vague constatée de mécontentements, insultes ou menaces sur Internet et en magasins et s’est excusée.
Au sein d’une cellule dédiée à la crise, plusieurs personnes sont susceptibles de s’exprimer devant les parties prenantes. La direction sera particulièrement observée, notamment les grands patrons emblématiques qui devront assumer devant les actionnaires, les employés, les clients, les médias et la justice le cas échéant. Les responsables communication, généralement rompus à l’exercice médiatique, vont être plus fréquemment envoyés au front et informeront des évolutions précises des événements. Les community manager vont intervenir plus directement auprès de consommateurs inquiets ou mécontents.
Dans des cas bien spécifiques, la gestion de la communication de crise est confiée à une agence spécialisée. Comme l’illustre le remarquable documentaire « Jeux d’influence : les stratèges de la communication » traitant des crises Coyote, Société Générale ou Richard Gasquet, des professionnels aguerris de la communication sont mobilisés pour gérer des affaires médiatisées et embarrassantes pour les parties prenantes impliquées à qui il peut être conseillé de ne plus s’exprimer.
En termes de choix d’outils, la palette reste assez large et dépend surtout de la cible à laquelle on s’adresse.
Un communiqué circonstancié, solennel et précis sera approprié pour un message visant à rassurer les actionnaires et les clients. Tel était le choix de la Société Générale en 2008.
Une conférence de presse ou une interview dans un journal télévisé à heure de grande écoute touchera un très large public et permettra d’apporter des réponses tout en jugeant de l’attitude de la personne mise en cause. Au terme d’une longue stratégie élaborée par des spin doctors(chargés de communication) chargés de sauver la réputation de Richard Gasquet (contrôlé positif à la cocaïne en 2009) et du groupe Lagardère, le jeune tennisman a fait le tour des médias pour livrer sa ligne de défense (détournement vers une tierce personne).
Volkswagen, un an pour redevenir numéro 1
Autre exemple : après une défaillance touchant les batteries d’un de ses smartphones, le géant coréen Samsung a investi en 2017 dans une longue et démonstrative publicité, extrêmement éloignée des tendances cool en vigueur, décrivant le sérieux de leurs processus qualité, et ce afin de rassurer les consommateurs pouvant être inquiétés par la potentialité que d’autres produits de la marque puissent subir les mêmes désagréments.
À l’inverse, Nike a réalisé un spot publicitaire soutenant l’un de ses ambassadeurs à l’origine du controverse du kneeling, le joueur de football américain Colin Kaepernick. Face à une menace de boycott de certains clients offensés par l’attitude frondeuse de l’athlète, Nike a décidé d’élaborer une stratégie de contre-attaque en communiquant sur le droit à la différence et au courage. Résultat : loin du boycott craint, la marque à la virgule a constaté… une hausse significative des ventes en ligne suite à la diffusion de la publicité.
En dépit de toutes les théories et pratiques existantes, on voit bien au travers ces exemples que chaque crise reste spécifique et configurée dans un contexte particulier. Les stratégies du silence ou de la contre-attaque ont fait leurs preuves dans certaines situations, mais ont échoué dans d’autres. Les entités concernées (entreprises, organisations, partis politiques, clubs sportifs, individus) doivent donc gérer la crise à court, moyen et long terme : il s’agit d’un marathon et non d’un sprint.
On peut d’ailleurs considérer à titre d’exemple que Volkswagen a raté son sprint (cacophonie de communication lorsque la crise éclate avec des Américains assumant le scandale avec la célèbre formule « on a merdé », alors que la direction européenne niait l’ampleur du problème), mais a réussi son marathon. Un an après le scandale, le groupe allemand redevenait numéro un mondial des ventes…