Le Monde de l’Energie ouvre ses colonnes à Frédéric Babonneau, directeur du Centre d’excellence en Supply Chain, Innovation et Transports, de KEDGE, pour obtenir son éclairage sur la crise énergétique actuelle.
Quels sont les impacts de la crise énergétique sur les collectivités publiques et les services qu’elles proposent ?
La crise énergétique que nous vivons va mettre les collectivités en grande difficulté financière. Le côté plutôt positif, est que les collectivités vont devoir faire attention à leur consommation énergétique, ce qui n’était pas le cas auparavant. Elles vont devoir faire la chasse aux gaspillages et enfin jouer le jeu de la sobriété énergétique. Pour réduire leur consommation, l’ADEME a déjà fait l’inventaire des mesures simples à mettre en œuvre (baisser la température de 1 ou 2 degrés en journée et plus quand les bâtiments sont inoccupés, installer des lampes plus économes, éteindre les bâtiments la nuit, etc.). Malheureusement, ces mesures ne suffiront pas et les collectivités vont sans doute, dans certains cas, devoir réorganiser les horaires de travail de leurs personnels ainsi que les horaires d’accueil de leurs services. Elles seront malheureusement aussi amenées à fermer temporairement certains services énergivores durant l’hiver telles les piscines, les patinoires, etc. Afin d’identifier les sources potentielles d’économies d’énergie et ainsi actionner les leviers adaptés, les collectivités devront mettre en place des processus de monitoring des consommations et des pertes énergétiques.
Enfin on peut imaginer, dans un scénario plus favorable aux collectivités, l’intervention de l’Etat avec une aide financière ponctuelle. Cela aurait l’avantage de soulager les collectivités mais, comme souvent, au détriment de la sobriété énergétique.
A quoi pourrait ressembler l’hiver sous tension électrique et gazière que nous devrions connaître ?
Tout dépendra du climat cet hiver et de la capacité d’EDF à redémarrer ses centrales nucléaires à l’arrêt actuellement pour maintenance. Mais déjà, le gouvernement et les acteurs de l’énergie commencent à nous préparer à fournir des efforts. On voit apparaître dans les médias des messages d’information pour la réduction de la consommation d’énergie. L’opérateur de réseau RTE a déjà annoncé qu’il pourrait couper temporairement les chauffe-eaux électriques de milliers d’usagers en cas de besoin. Cela montre à quel point la situation est potentiellement critique. On peut donc s’attendre cet hiver à recevoir des demandes de l´Etat et des acteurs du secteur énergétique pour réduire ou déplacer pendant les périodes creuses notre consommation, comme utiliser notre machine à laver la nuit. La mesure suivante pourrait être des coupures ciblées d’électricité dans certaines régions sous tensions. Tout ceci, afin d’éviter un blackout qui, à ce stade, est peu probable.
Quels leviers pourraient permettre de réduire la dépendance énergétique de la France ?
Les leviers sont bien connus. La rénovation des passoires énergétiques et même de tous les bâtiments qui ne sont pas classés A ou B, est sans doute un des leviers les plus efficaces. Le chauffage des bâtiments en France représente environ 40% de la consommation d’énergie finale. Cela permettrait de réduire la facture énergétique des Français de façon considérable, et d’augmenter leur pouvoir d’achat et leur confort de vie. L’autre levier est l’investissement dans les énergies renouvelables. En investissant massivement dans les énergies solaires, éoliennes, la biomasse ou encore la géothermie, nous pourrions atteindre l’autonomie énergétique. Seule cette indépendance nous permettra de ne plus subir les fluctuations des prix de l’énergie liées aux tensions géopolitiques ou autres. En attendant cette autonomie, il faut diversifier nos sources d’approvisionnements.
Comment pérenniser les mesures de sobriété énergétique mises en place pour assurer la lutte contre le changement climatiques ?
Malheureusement pour pérenniser les mesures de sobriétés énergétiques, il faut impérativement un prix des énergies carbonées élevé. On le voit actuellement, seul un prix très élevé nous oblige à agir. Il faut donc taxer d’une manière ou d’une autre les énergies fossiles et donc les émissions de CO2. Au contraire de la situation que nous subissons actuellement qui profite essentiellement aux pays exportateurs, aux grandes entreprises énergétiques et aux spéculateurs, une taxe a l’avantage de générer des rentrées substantielles dans les caisses de l’Etat qui pourra par la suite redistribuer cette manne financière aux foyers les plus modestes et financer la transition énergétique.