L’incapacité récurrente des pouvoirs publics français à ramener le déficit dans les critères de Maastricht a été aggravée par les deux grandes crises des subprimes en 2008 et celle du Covid-19 en 2020. En conséquence de l’accumulation de 44 années de déficit excessif depuis 1980, date à laquelle les finances publiques étaient à l’équilibre et la dette à 20 %, l’endettement public s’élevait fin 2023 à 112 % du PIB soit le double de la limite de 60 % du PIB fixée par le Pacte de stabilité et de croissance dûment ratifié par la France.
Pire encore, depuis début janvier nous assistons à une succession de révisions à la hausse du déficit public pour 2024, initialement attendu à 4,4 % soit déjà à l’époque le pire de la zone euro après l’Italie. Le ministère des Finances l’a depuis fortement revu à la hausse d’abord en mars dernier à 5,7 % pour finalement avouer juste avant le dépôt du projet de loi de finances pour 2025 qu’il s’établira sans doute au-delà de 6 %.
Les marchés, des lanceurs d’alerte
Nous avions déjà souligné ici l’impuissance chronique des gouvernements successifs à respecter les objectifs pourtant modestes des lois de finances mais la divergence entre déficit attendu et réalisé n’a jamais été aussi forte alors que doit débuter – avec retard – l’examen du budget 2025 par une Assemblée nationale extraordinairement divisée et polarisée. Parallèlement, Paris, sous procédure pour déficit excessif depuis juillet dernier devait soumettre à Bruxelles un plan pluriannuel de réduction de son déficit le 20 septembre avant d’obtenir in extremis un délai supplémentaire au 31 octobre.
La gravité de la situation n’a pas encore été prise en compte par les agences de notation mais elle l’est déjà par les marchés obligataires puisque la France emprunte désormais à 5 ans non seulement à un taux plus élevé que le Portugal et l’Espagne mais même que la Grèce. Ils remplissent ainsi un rôle très utile de lanceurs d’alerte que n’a jamais su assumer le Haut Conseil des finances publiques depuis sa création par le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de 2012, comme nous l’avions rappelé dès 2014 puis à maintes reprises. La Commission européenne a elle aussi toujours fait preuve de laxisme vis-à-vis des dérives budgétaires françaises.
Quand le déficit devient structurel
Le déficit nominal, publié régulièrement par l’Insee doit, depuis l’application des critères de Maastricht, rester en dessous de 3 % ce qui ne s’est pas produit depuis 2018. Pour tenir compte de l’évolution du cycle économique et éviter de faire plonger les pays de l’UE d’une récession temporaire à une profonde dépression, le Pacte de stabilité et de croissance a progressivement retenu le critère du déficit structurel, à savoir le déficit hors dégradation liée à un ralentissement économique conjoncturel. Le problème vient du fait que ce solde structurel ne peut qu’être estimé, à la différence du déficit nominal dont le calcul par l’Insee est incontestable.
Ainsi en 2021 nous estimions, comme la Commission européenne, le déficit structurel français autour de 5 % soit très loin de l’évaluation fantaisiste de Bercy et surtout très au-delà de l’objectif fixé par le traité de 0,5 % du PIB. S’il reste supérieur à 5 % du PIB aujourd’hui c’est parce que le pays n’a toujours pas engagé de véritables réformes structurelles à l’exception de celle des retraites d’avril 2023 si décriée malgré des résultats modestes.
Abuser de circonstances favorables
En France, les gouvernements successifs n’ont jamais su, depuis 1981, tirer profit des périodes de croissance pour rétablir l’équilibre des comptes publics, chaque période de récession se traduisant par une flambée spectaculaire de la dette suivie systématiquement d’un effet de cliquet.
Évolution de la dette publique française depuis 1980 (en points de PIB)
Source : commission des finances du Sénat (d’après les données de l’Insee)
Cette inconscience s’est même accentuée après la crise des subprimes grâce à des circonstances exceptionnellement favorables. À partir de 2008 en effet, les banques centrales ont ramené leurs taux directeurs à des niveaux proches de zéro, voire négatifs, ce qui était totalement inédit. Par contagion, les taux obligataires ont suivi la tendance puisque l’État français a même pu emprunter à 10 ans à taux négatif pendant quelques années. D’où la situation paradoxale et lénifiante d’une forte hausse de la dette concomitante à une diminution régulière de la charge de la dette publique (les intérêts versés sur la dette publique) passée de 3 % du PIB en 2008 à seulement 1,7 % en 2023.
Comble du paradoxe, la remontée des taux d’intérêt obligataires autour de 3 % en 2022 et 2023 s’est traduite par une baisse du ratio dette publique sur PIB passé de 118 % du PIB au plus haut en 2021 à 112 % fin 2023 car la charge de la dette ne remontera que progressivement au fil des remplacements des emprunts émis il y a quelques années alors que l’inflation s’est brutalement envolée de 5,2 % en 2022 puis de 4,9 % en 2023 ce qui a immédiatement gonflé les recettes publiques.
Source : Insee/ FIPECO
Un effet boule de neige avant l’avalanche
L’inflation refluant désormais en dessous de l’objectif de long terme de la BCE de 2 % par an, les circonstances exceptionnelles des deux dernières années disparaissent et le risque d’un effet boule de neige sur la dette du fait de déficits incontrôlables devient patent.
Selon l’équation de soutenabilité de la dette, cette denière est stabilisée par rapport au PIB tant que le taux de croissance nominale de la dette égale celui du PIB en valeur. Ainsi aujourd’hui, avec une dette publique de 112 % du PIB et une croissance du PIB en valeur de 3 % (1 % en volume +2 % d’inflation), la dette en pourcentage est stable si le déficit ne dépasse pas 3,3 %. Or, il est de plus de 6 % cette année et attendu par le Gouvernement (de manière excessivement optimiste) à 5 % en 2025. Il est donc certain que la dette va reprendre son ascension en 2024 et 2025 et donc que la charge d’intérêts va s’envoler.
Source : programme de stabilité de 2024/charge d’intérêts comptabilité nationale/FIPECO.
Pour stopper l’emballement de l’effet boule de neige déjà enclenché, il n’y a qu’une seule solution : atteindre au plus vite le déficit stabilisant la dette de 3,3 %. Compte tenu de la charge d’intérêts actuelle d’environ 2 % du PIB cela implique nécessairement de ramener le déficit primaire (hors charge d’intérêts) de 4 % actuellement à seulement 1,3 % du PIB soit un effort structurel de 2,7 % du PIB en 2024 et même de 3,7 % en 2025 car le déficit s’établirait sans correction à 7 % l’an prochain.
Une réduction insuffisante
En clair, cela signifie qu’il faudrait faire un effort de 112 milliards d’euros en 2025 soit deux fois plus que prévu dans le projet de lois de finances pour 2025… une prévision déjà particulièrement optimiste. Il est évident que l’effort extraordinaire annoncé de 60 milliards dont 20 milliards sous forme de hausse d’impôts et 40 milliards de coupes dans les dépenses n’empêchera pas la dette publique de croître et ne stoppera pas l’effet boule de neige.
Le pays n’est donc qu’au début d’un long et douloureux chemin déjà balisé par la Grèce, le Portugal, l’Espagne et l’Italie (les fameux PIGS) qui sont contraints de dégager depuis plusieurs années un excédent primaire afin de réduire leur endettement via la baisse du niveau de vie de leurs citoyens (de 30 % en Grèce) ou en coupant dans leurs dépenses d’investissement et en supportant un fort taux de chômage des jeunes comme en Italie. La question de la dette publique restera donc centrale dans le débat politique des prochaines années d’autant qu’à la dette financière s’ajoute la dette écologique qui bien que les émissions de CO2 diminuent chaque année progresse toujours de l’ordre de 40 milliards d’euros par an. Sans oublier le passif social lié aux droits à retraite dans le secteur public qui n’est pas provisionné…
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