Finance-Mag: Les conditions d’un choc pétrolier comparable à celui de 1973 sont-elles réunies ?
Radouane Abdoune: Le premier risque c’est une généralisation de la guerre au Moyen Orient. Une entrée en guerre totale du Hezbollah avec le soutien de l’Iran, ferait de l’Iran une cible à la fois pour les Etats-Unis et pour l’armée d’Israël. Le détroit d’Ormuz se retrouverait en danger. Or c’est là que transite 20 % du pétrole mondial dont l’essentiel de la production du Moyen-Orient. L’impact sur la réduction de l’offre et donc la hausse des prix serait inévitable.
Le deuxième point est qu’Israël produit aussi du gaz et qu’il y un lien fort entre le gaz et le pétrole. Des plateformes off-shore sont exploitées par l’Américain Chevron pour le compte d’Israël. Ces installations sont à portée de missiles à la fois du Hezbollah et du Hamas. Ces champs gaziers constituent aujourd’hui une part de l’approvisionnement de l’Europe en gaz, d’autant plus que la ressource Russe a été réduite depuis la guerre en Ukraine.
Le troisième point c’est le canal de Suez. Avec ses 200 km de longueur, il permet le transit de 10 % du commerce mondial, y compris le transport du pétrole. Si jamais l’instabilité militaire de la région vient limiter ce trafic, ce sera une source de tension sur les approvisionnements. Enfin le quatrième élément c’est la position de la Russie.
Comment va-t-elle réagir ? Combinée avec les trois premiers éléments, une éventuelle intervention de la Russie, tentée de saisir l’opportunité de nuire aux occidentaux, aura pour effet une flambée du cours du pétrole.
Où en sont nos réserves énergétiques ?
Aujourd’hui il y a des stocks importants notamment en gaz. Tout dépend ensuite de la rigueur de l’hiver en occident . Si il y a surconsommation de ces ressources, le risque de crise devient systémique. On ne peut pas y échapper.
La menace sur le prix du carburant à la pompe s’inscrit dans quel calendrier ?
C’est du court moyen-terme, 12 à 18 mois. Le pétrole consommé aujourd’hui, notamment par les compagnies aériennes, c’est du pétrole acheté depuis six mois. Quand les compagnies aériennes vont commencer à consommer la matière première à son prix le plus élevé, c’est à ce moment que l’impact sur le prix va être le plus fort. Pour autant, on peut penser qu’on ne connaîtra pas une flambée agressive, car on connaît déjà une courbe ascendante qui intègre ces hypothèses. L’augmentation sera moins violemment ressentie.
Qu’en est-il des entreprises de la tech implantées en Israël ?
Elles vont rencontrer une problématique importante à savoir que parmi les jeunes talents qu’elles ont recrutés, en bénéficiant d’un environnement propice, il y a beaucoup de réservistes qui ont rejoint l’armée. Cela va limiter les ressources humaines durablement et avoir des conséquences avec des retards et des annulations de commandes prévisibles. Le danger est réel pour la tech israélienne et par conséquent pour la tech française ou américaine avec qui elle a de nombreux échanges. On ne peut pas quantifier encore ce risque car la guerre a commencé au début du 4e trimestre de l’année, et les chiffres d’activités du 3e trimestre étaient déjà publiés. Ce sera visible fin décembre ou début janvier.
Y a-t-il des risques de boycotts économiques ?
McDonald commence à souffrir. La franchise là-bas a apporté son soutien à Tsahal et ça ne plait pas au monde arabo musulman. Or les McDo au Moyen Orient sont parmi les plus rentables. Pour les intérêts français, l’enseigne Carrefour qui est la mieux implantée, est menacée. Le distributeur qui a la franchise Carrefour en Israël, ECP (Electra consumers products) a soutenu Tsahal. Le communiqué de neutralité de Carrefour France n’a pas suffi à lever les doutes. Ca ne va durer que quelques semaines mais comme c’est un secteur où les marges sont très faibles, où il a déjà fallu revoir les prix à la baisse en France sur injonction gouvernementale, pour cause de lutte contre l’inflation, la rentabilité de l’entreprise risque de connaître un nouveau coup de rabot. En revanche, d’autres vont tirer bénéfice de la situation, comme Total qui va surfer sur la vague et profiter de la flambée de la matière première ou le secteur de la défense qui va sur-performer puisque les commandes ne vont pas diminuer.
Vous travaillez aussi sur le financement alternatif ou crowdfunding. La période de turbulences ne risque-t-elle pas d’être préjudiciable au développement des nouveaux modes d’investissement ?
Le financement alternatif dépend de la volonté de l’investissement puisqu’il consiste à limiter l’intermédiation bancaire, pour solliciter directement l’investisseur. Un contexte d’incertitudes et de tensions rend forcément l’investisseur frileux voire peureux. Le risque devient une variable qui l’inquiète et il préfère écarter ces investissements dans la période. Il oublie complètement ce qui est alternatif alors que ca pourrait aider à trouver des solutions vertueuses. Cependant toutes les plateformes de crowdfunding ont été rachetées par les banques. La plateforme bordelaise de financement participatif Happy Capital a été reprise par la Caisse d’Epargne. Ce sont maintenant des équipes de la Caisse d’Epargne qui sélectionnent les projets. L’intermédiation bancaire reprend la main. Le crowdfunding existe depuis le temps des pharaons, mais en réalité il n’a jamais concerné qu’une part minime de l’investissement mobilisable.