Le système financier conventionnel est de plus en plus remis en question dans la perspective des objectifs de l’Agenda 2030.
Pour Thomas Lagoarde-Segot, professeur d’Economie et de Finance Internationale à KEDGE qui dirige également la commission Finance Durable de SDSN France (Sustainable Development Solutions Network), la Théorie Financière Ecologique peut représenter une véritable alternative.
Lors d’un entretien avec Xerfi Canal, il présente cette nouvelle théorie et revient sur ces points forts notamment dans le contexte de l’ère de l’Anthropocène.
Qu'est-ce que la Théorie Financière Ecologique ?
La théorie financière écologique peut être définie de deux façons :
- Un programme de recherche qui vise à donner des éléments de réponse aux décideurs dans le contexte actuel de crise.
- Un nouveau paradigme, c’est-à-dire une nouvelle orientation et une nouvelle pratique de la recherche en économie.
La TFE effectue deux apports fondamentaux : elle introduit de nouveaux concepts dans le champ des études financières (analyse économique, sciences sociales, la biologie et sciences de la Terre) et elle propose un nouveau cadre méthodologique pour donner corps à ces concepts et pour ouvrir de nouvelles perspectives pour la conduite de la politique économique.
Les différences entre la théorie financière écologique et la théorie néoclassique
La théorie financière néoclassique, la théorie standard, représente le système financier comme un marché de fonds prêtables (où les épargnants prêtent aux emprunteurs), sans création monétaire, et dans lequel les banques seraient réduite à un rôle d’intermédiaire financier.
En l’absence de contraintes juridiques notamment, elle suppose que les marchés financiers ont la capacité de découvrir le vrai modèle de l’économie et de le révéler à l’ensemble des acteurs sous la forme d’un système de prix, par le truchement de la « fonction d’utilité » mathématique d’un investisseur représentatif.
Il s’agit de l’hypothèse d’efficience des marchés, selon laquelle il convient de confier le commandement et l’économie aux marchés financiers et à leurs indicateurs de contrôle.
Au niveau des recherches en finance, cette hypothèse a donné lieu à des critiques, notamment depuis la dernière crise, mais elle a été remarquablement résiliente tant qu’on maintenait l’étanchéité entre les disciplines.
La théorie financière écologique est basée sur un constat très simple, dès que des données bio-géo-physiques entrent dans l’analyse, conformément à l’Agenda 2030 de l’ONU, l’hypothèse d’efficience des marchés vole en éclat.
Cela s’explique de 2 façons :
- Les marchés sont dans l’incapacité de découvrir et de révéler la valeur monétaire du système Terre étant donné la complexité des mécanismes à l’œuvre
- Les travaux en sciences de la Terre démontrent qu’il existe une causalité incontestable entre le développement du secteur financier et le dérèglement massif du système-Terre observé ces dernières décennies
Ainsi, contrairement à ce qu’affirme la théorie néoclassique, la création de valeur financière est le miroir d’une déstabilisation du système-Terre qui menace la vie telle que nous la connaissons.
Pour apporter des solutions, la théorie financière écologique postule qu’il est nécessaire de dépasser le concept d’équilibre de marché pour représenter l’économie comme un circuit monétaire branché sur le système-Terre.
Cette approche permet notamment d’importer des notions issues des sciences de la Terre dans l’analyse économique, et de faire émerger de nouvelles approches pour la recherche et la politique économique au XXIème siècle.
Par exemple plutôt que de parler croissance, on parle de résilience, plutôt que de parler de diversification on parle de diversité, plutôt que parler de transparence financière on parle de transparence écologique.
L’article fondateur de la Théorie Financière Ecologique
Les solutions pour que les acteurs s'emparent de la théorie financière écologique
Pour développer cette théorie il faudra que l’ensemble des acteurs concernés se mobilisent : chercheurs, décideurs et étudiants.
Comme l’explique Thomas Lagoarde-Segot, les chercheurs se sont emparés du sujet au travers d’analyses publiées dans la série des Working Papers du Post-Crisis Finance Network.
Nous sommes intervenus notamment auprès de France Stratégie l’an dernier et nous interagissons régulièrement avec les acteurs du secteur privé, public et de l’économie sociale et solidaire
Sur le volet de la pédagogie, dans le cadre des travaux du SDSN France et de l’Académie Internationales des Objectifs de Développement Durable, la rédaction d’un manuel de finance écologique par une quinzaine de chercheurs est en cours.
Il s’agit d’une étape indispensable car il ne pourra pas y avoir de refondation du système sans former les nouvelles générations, en première ligne face aux conséquences de l’Anthropocène.
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