Cet article a été co-écrit avec Cécile Cézanne, Maître de conférences-HDR en Economie, Université Côte d’Azur
À l’occasion de cette récente campagne présidentielle, certains candidats, de gauche comme de droite, ont souligné qu’une des façons de soutenir le pouvoir d’achat, l’une des préoccupations majeures des Français, serait de revoir ou de repenser le partage de la valeur des entreprises ou plus prosaïquement comment les profits sont répartis et distribués entre les parties prenantes essentielles (actionnaires, salariés, entreprise).
Historiquement, il s’agit d’un combat politique incarné et porté par une partie du courant gaulliste. Le général de Gaulle a notamment été un ardent défenseur, depuis son discours de Saint-Étienne en 1948, de la participation en entreprise, qui dans son idée ne pouvait être conçue que de façon exhaustive et systémique.
Il s’agit bien évidemment de la participation des salariés aux profits, aux décisions et à la gouvernance. Dans l’approche gaulliste, l’objectif était de réduire la conflictualité en entreprise par le biais de la promotion d’une entreprise plus harmonieuse. Notons, que d’un point de vue historique, cette vision ne peut être seulement rattachée au courant gaulliste mais bien à un ensemble d’acteurs variés, allant des syndicats aux patrons progressistes en passant par les catholiques sociaux, ce que certains ont regroupés sous la bannière des partisans de la « réforme de l’entreprise » (Bacon, Bloch-Lainé, Sudreau, etc.).
« Mieux gouverner le capitalisme »
La période actuelle remet sur le devant de la scène la question du partage des profits, en lien notamment avec ce que l’on appelle la financiarisation des entreprises. Pour faire simple, il s’agit de normes comme de pratiques qui tendent à privilégier les intérêts des actionnaires dans les objectifs des entreprises comme dans la répartition des profits : on a tantôt annoncé « le retour de l’actionnaire », évoqué « la République des actionnaires », constaté les « dérives du capitalisme financier », en lien avec le nouvel « esprit du capitalisme », tout en regrettant les conséquences humaines délétères sur le travail alors que certains, à l’instar de la sociologue belge Isabelle Ferreras, appellent à mieux « gouverner le capitalisme » afin de pouvoir « démocratiser, démarchandiser et dépolluer ».
Tous les gouvernements récents comme les divers mouvements politiques se sont donc intéressés à ce sujet sensible. Le président Nicolas Sarkozy avait par exemple commandé un rapport en 2009 à ce sujet qui faisait le constat sans ambiguïté de cette répartition déséquilibrée et préconisait une répartition équitable dite des « trois tiers » : un tiers pour les actionnaires, un tiers pour les salariés et un tiers pour l’entreprise (autofinancement).
La loi Pacte (loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, adoptée en 2019), censée d’après les propos du président de la République Emmanuel Macron « réformer profondément la philosophie de ce qu’est l’entreprise », a avancé dans la direction d’une répartition plus équilibrée des profits, en favorisant l’épargne salariale et la participation des salariés à la gouvernance afin qu’ils pèsent plus dans les décisions stratégiques.
La campagne présidentielle a donc donné lieu à de multiples propositions visant à mieux associer les salariés aux profits et/ou à améliorer leur pouvoir d’achat.
On peut remarquer une double perspective relativement consensuelle : favoriser ou généraliser la participation des salariés, notamment chez les candidats se réclamant du gaullisme ou de la droite de l’échiquier politique ; ou conditionner les dividendes versés aux actionnaires à une rémunération ou un dividende en faveur des salariés (« dividende salarié » repris par E. Macron) ou interdire le versement des dividendes en l’absence de participation des salariés.
Ces propositions vont globalement dans le sens d’une réduction de l’inégalité de traitement entre les parties essentielles de la vie des entreprises : actionnaires, salariés et l’entreprise elle-même. Elles alimentent ainsi l’idée qu’il faut rééquilibrer la répartition des profits afin d’aboutir à une solution plus « coopérative » et plus durable.
Des salariés « récompensés »
Dans le cadre d’un article de recherche récemment publié, nous sommes partis de ce contexte afin d’examiner une situation de plus en plus fréquente. Nous nous sommes notamment focalisés sur le cas des entreprises ayant développé des mécanismes d’épargne salariale et d’actionnariat salarié… qui sont justement alimentés par la participation des salariés et l’intéressement.
Il s’agissait de comprendre, dans une logique de rapport potentiellement conflictuel, si la présence des salariés au capital comme à la gouvernance était susceptible d’avoir un effet sur la distribution des profits aux actionnaires. Nous avons ainsi analysé une période courant de 2000 à 2014, qui représente une période relativement neutre par rapport aux dernières années qui ont vu fleurir des dispositions en faveur des salariés.
Nos résultats montrent deux éléments intéressants et qui mettent en perspective les débats actuels. Premier élément intéressant : la participation des salariés au capital a bien un effet positif sur la performance. Et donc, en soi, il est toujours plus intéressant d’avoir des salariés présents au capital que l’inverse, notamment parce qu’ils sont plus motivés et performants en étant « récompensés » de leurs efforts et de leur travail.
Néanmoins, le résultat le plus novateur a été de constater que la participation des salariés permet de freiner leurs pratiques de versements de dividendes et de rachats d’actions, qui sont régulièrement analysés comme des pratiques ne bénéficiant qu’aux seuls actionnaires. De plus, la participation des salariés au conseil d’administration (ou de surveillance) modère les versements de dividendes aux actionnaires, ce qui souligne l’influence positive (dans une perspective d’équilibre) des salariés dans la répartition des profits.
Nos résultats, comme ceux obtenus par d’autres collègues (N. Aubert, M. Nekhili, A. Reberioux), soulignent donc l’intérêt de développer et de soutenir la participation des salariés dans toutes ses acceptions (au capital, à la gouvernance, aux décisions). Ils apportent une preuve empirique des intuitions ou des « combats » portés par d’illustres représentants du courant de la réforme de l’entreprise, qui œuvraient pour une entreprise moins conflictuelle car plus équitable dans la répartition des profits et du pouvoir.
Une réflexion sur un éventuel texte qui succéderait à la loi Pacte pourrait ainsi constituer une occasion d’inscrire le capitalisme français dans une double perspective assez unique : permettre aux salariés de constituer une composante qui équilibre les tentations opportunistes et les dérives d’un capitalisme trop financiarisé.