Eric Pichet est directeur du programme Gestion Patrimoniale & Immobilière -IMPI
Après une longue séquence de manifestations très majoritairement soutenue par la population et un parcours législatif particulièrement chaotique, la réforme des retraites a été validée dans ses grandes lignes le 14 avril 2023 par le Conseil constitutionnel.
Le Conseil a d’abord jugé que le recours à un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) n’était pas subordonné à l’urgence, à des circonstances exceptionnelles ou à un déséquilibre majeur des comptes sociaux. Sur le fond, concernant la mesure-phare du texte, le recul de l’âge légal de 62 ans à 64 ans, le Conseil constitutionnel a rappelé qu’en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu assurer l’équilibre financier du système de retraite par répartition pour en garantir la pérennité.
Les « sages » de la rue de Montpensier ont également estimé que la réforme permettait des retraites anticipées pour les carrières longues, les personnes en incapacité au travail ou encore les travailleurs handicapés. Des mesures qui vont légèrement limiter la réponse au besoin de financement du système social français qui constituait l’un des objectifs de la réforme. Le président de la République, Emmanuel Macron, avait ainsi évoqué des « risques financiers trop grands » pour justifier le recours au 49.3 mi-mars.
Une réforme un peu plus équitable que le projet initial
Preuve de l’utilité du travail parlementaire, les débats des deux assemblées ont permis d’amender le projet de loi vers un peu plus d’équité sans trop en perturber l’équilibre financier global. Ainsi la revalorisation des petites retraites s’appliquera non seulement aux nouveaux retraités mais également à tous les retraités actuels qui ont eu une carrière complète. Un retraité qui a travaillé au smic toute sa vie touchera donc une pension de près de 1 200 euros brut, soit 85 % du salaire minimum net (sachant qu’aux environs du smic il n’y a pas ou peu de différence entre le brut et le net). Selon le Sénat, 1,8 million de retraités, dont 60 % de femmes, bénéficieront d’une majoration pour un gain mensuel moyen de 33 euros. Parmi ceux-ci 125 000 retraités obtiendront une hausse de 100 euros par mois.
L’amélioration la plus significative par rapport au projet initial concerne les carrières longues. Celles et ceux qui auront commencé à travailler avant 16 ans pourront partir à taux plein dès 58 ans, à 60 ans pour un début de carrière entre 16 et 18 ans et à 62 ans entre 18 et 20 ans.
Quant aux personnes handicapées, elles pourront désormais solder leur retraite à 55 ans à taux plein dès que leur taux de handicap dépasse les 50 % (contre 80 % actuellement). Les personnes invalides ou inaptes pourront toujours partir à 62 ans voire à 50 ans pour celles qui ont été reconnues exposées à l’amiante.
Au nom de la politique familiale, la majoration de pension pour familles nombreuses d’au moins trois enfants est étendue aux professions libérales et les mères qui auront atteint la durée de cotisation nécessaire pour partir à taux plein dès 63 ans bénéficieront après cet âge d’une surcote pouvant aller jusqu’à 5 %.
Des inégalités persistantes selon les secteurs
Après cette réforme, la classe politique bénéficie toujours d’avantages exorbitants du droit commun. Même si leur régime est depuis 2018 aligné sur celui des fonctionnaires, les députés continueront de bénéficier d’un droit à une pension mensuelle de 684 euros net pour chaque mandat de 5 ans. Quant au président de la République, il touche dès la fin de son mandat une pension d’environ 5 200 euros net mensuels. Mais l’inéquité la plus extravagante est sans conteste la retraite des sénateurs qui reste une oasis intouchable. Leur régime est d’ailleurs tellement opaque que même les concernés ne peuvent en connaître les règles de calcul.
D’autres corporations bénéficient également de régimes de faveur. C’est le cas du transport aérien, les contrôleurs aériens et les personnels navigants des compagnies aériennes ayant obtenu des garanties gouvernementales en amont de la réforme. Si les régimes spéciaux les plus importants (RATP, Industries électriques et gazières) sont désormais mis en extinction, les salariés embauchés avant le 1er septembre 2023 conserveront leurs avantages.
Enfin les transporteurs routiers garderont jusqu’en 2030 leur congé de fin d’activité permettant de cesser le travail cinq ans avant l’âge légal en conservant de 80 à 100 % de leur salaire, pour un coût de l’ordre de 1 milliard d’euros par an.
Pas de forte réduction du déficit public
Au bilan, selon l’analyse de l’Institut Rexecode publiée le 18 avril 2023, l’allongement de la durée du travail et l’accélération de la réforme de 2014 devraient réduire les dépenses des régimes de retraite de 14 milliards d’euros en 2030 et les mesures d’exemption et d’accompagnement coûter 7 milliards, soit une économie d’environ 7 milliards d’euros. Le surplus de recettes pouvant être estimé à 6 milliards, l’effet de la réforme serait donc de 13 milliards d’euros en 2030, soit 0,4 % du PIB, ce qui assurerait à peu près l’équilibre du système.
La réforme des retraites améliorera également les recettes publiques d’environ 18 milliards d’euros soit, après prise en compte de moindres dépenses de retraite de 4 milliards, une réduction du déficit de 22 milliards en 2030 ou 0,6 % du PIB. Cette économie reste toutefois très insuffisante pour réduire significativement le déficit structurel actuellement à 5 % du PIB soit l’un des niveaux plus élevés en Europe.
Inévitables hausses d’impôts à venir ?
Dans ces conditions, les prochains gouvernements vont devoir à la fois limiter les dépenses publiques et trouver de nouveaux prélèvements obligatoires pour faire fondre le déficit. La piste la plus vraisemblable est celle de la réduction des niches fiscales illégitimes à commencer par celle des retraités qui n’ont pas été mis à contribution avec cette réforme alors même que leur niveau de vie est supérieur à celui des actifs.
Le relèvement de la CSG sur les pensions les plus élevées semble inévitable pour faire cesser l’injustice permettant à un retraité touchant une pension de 5 000 euros ou plus par mois de n’acquitter que 8,3 % de CSG alors qu’un salarié au smic verse 9,2 %. L’abattement pour frais professionnels (sic) de 10 % sur les pensions plafonné à 4 123 euros par foyer en 2022 est également une niche qui coûte 4,2 milliards d’euros par an à l’État, par nature régressive puisqu’elle ne profite qu’aux foyers imposables, et sans aucune légitimité.
Enfin, les pensions des retraités fiscalement domiciliés hors de France qui échappent aux prélèvements sociaux (jusqu’à 10,1 % de la pension brute) pourraient voir leur cotisation d’assurance maladie (COTAM) actuellement de 3,2 % augmenter.
Concernant les actifs, déjà mis à contribution par la réforme, l’exonération fiscale et sociale des heures supplémentaires (environ 2 milliards de pertes de recettes publiques par an) dont la légitimité est plus que douteuse pourrait être remise en cause. Il en est de même de l’exonération des sommes versées au titre de la participation et de l’intéressement (également 2 milliards).
Quelles que soient les hypothèses démographiques et économiques, le maintien d’un très haut niveau de protection sociale voulu par les Français et qui se traduit toujours par l’espérance de vie en retraite la plus élevée au monde a un prix qu’il faudra bien payer.