Une nouvelle maladie a fait son apparition au travail : le brown-out. Après le burn-out, qui correspond à un état d’épuisement physique, mental et émotionnel résultant de situations de travail trop exigeantes ; après le bore-out qui exprime, quant à lui, l’ennui dû à une sous-charge de travail et qui finit par lessiver le collaborateur, voici qu’un nouveau danger guette les managers et leurs collaborateurs : le brown-out.
Cette expression anglaise désigne, pour les appareils électriques, une diminution volontaire ou involontaire de l’intensité dans le but d’éviter la surchauffe. Appliquée à l’entreprise, elle décrit une baisse de l’engagement des collaborateurs résultant d’une perte de sens au travail, d’un manque de compréhension du pourquoi de leur mission et d’une absence de mise en perspective de leurs tâches. Les personnes en brown-out travaillent alors sans réellement se préoccuper de la qualité de ce qu’elles produisent et démissionnent mentalement de leur poste.
La maladie du désengagement au travail
Il y a donc un véritable sentiment d’écartèlement entre le bénéfice retiré de son travail en termes de rémunération et le sentiment de mener des tâches contre-productives ou inutiles et vides de sens. Contrairement au bore-out, qui est un épuisement du salarié par ennui, contrairement au burn-out, qui vide le collaborateur de son énergie du fait de l’amplitude de sa tâche et de la pression qu’il subit, le brown-out laisse ce dernier tout à fait alerte et capable, mais totalement démotivé et désengagé (pour reprendre la terminologie de l’étude « Q12 » de Gallup).
Le concept a été évoqué pour la première fois en 2013 par l’anthropologue américain David Graeber sous le prisme des « bullshit jobs », pour dénoncer les dangers des métiers inutiles nés du progrès technologique et les conséquences en termes de lassitude ou de cynisme des collaborateurs touchés par ce nouveau mal dans l’entreprise. Plus récemment, le Dr. François Baumann a mis en évidence dans son livre « Brown-out, quand le travail n’a plus aucun sens » (Josette Lyon, 2018) les risques d’incompréhension du collaborateur sur son rôle au sein de l’organisation. Le brown-out peut alors se définir comme le manque de sens dans son travail quotidien, notamment du fait de tâches absurdes et non stimulantes. Il s’agit d’une maladie psychique que l’on retrouve chez des collaborateurs ayant un certain niveau d’études et de compétences mais qui effectuent un travail dévalorisant au regard de leurs connaissances et de leurs expériences. Avec l’innovation technologique, les métiers sans intérêt se multiplient en particulier dans le management, les ressources humaines et la finance, des domaines particulièrement impactés par l’intelligence artificielle.
Un phénomène difficile à quantifier
Bien que le brown-out se manifeste de façon moins violente et visible que le burn-out, il touche bien davantage de personnes. Même si le phénomène s’avère difficile à quantifier, plus d’un salarié sur deux (55%) estime que le sens au travail s’est dégradé. Les cas de brown-out pourraient donc se multiplier dans les années à venir.
Car à l’origine de ce phénomène, il y a cette terrible absence de sens pour le collaborateur qui interdit toute valorisation de lui-même ou de son action. Sans compréhension et mise en perspective de ses missions et de ses tâches, ces dernières, nécessairement non stimulantes, entraînent une sorte de désillusion, une baisse de l’engagement et surtout, un désintérêt pour la qualité du travail produit. Le collaborateur en brown-out a l’impression de ne jamais voir l’aboutissement de son travail et est dans l’impossibilité de se valoriser au travers de ce dernier. Dès lors, il peut avoir la tentation du repli sur lui-même, jusqu’à glisser lentement vers un état dépressif dont les conséquences peuvent aller jusqu’à envisager le suicide en raison du sentiment de vide ressenti…
Il faut être attentif pour déceler l’apparition du « brown-out » car, contrairement aux autres maladies psychiques liées au travail, il ne présente pas de manifestations très visibles, le collaborateur restant fonctionnel et capable d’accomplir ses tâches. Les symptômes sont plus dissimulés mais s’expriment ainsi :
- sentiment d’absurdité, d’inutilité et d’aberration du travail à réaliser ;
- perte d’attention lors de la réalisation des tâches ;
- perte du sens de l’humour dans les relations professionnelles ;
- démotivation progressive avec irritation et apathie ;
- crise existentielle et remise en question professionnelle et personnelle ;
- anxiété, voire dépression.
La perte de motivation globale du collaborateur est donc le symptôme numéro un du brown-out. Il traîne les pieds, rechigne à s’investir, s’ennuie en réunion, ne manifeste aucun intérêt pour ce qu’il fait, même s’il y passe du temps. Finalement, même sa vie familiale et sa vie sociale peuvent être impactées par ce désintérêt professionnel. Apparaît alors un absentéisme important et régulier chez le collaborateur. Si, avant peu de choses pouvaient l’empêcher de venir travailler, désormais tout devient prétexte à cesser son activité. Le plus souvent, le brown-out se traduit par une démission ou par une demande de rupture conventionnelle, parfois pour entamer une reconversion professionnelle afin de retrouver du sens.
Des managers sommés d’agir
Pour lutter contre ce fléau, les entreprises doivent développer et conserver la motivation de leurs équipes en leur donnant des éléments de sens sur leurs missions (explication de la stratégie, rencontres avec le top management, moments de convivialité…). Mais c’est surtout au niveau du management qu’il faut agir. Avec l’arrivée sur le marché du travail des millennials(personnes nées entre le début des années 1980 et les années 2000), plus exigeants en matière de communication, il faut rompre avec un management vertical très destructeur de sens et impulser un management beaucoup plus horizontal, favorable au bien-être des collaborateurs et au partage de l’information.
En effet, le brown-out étant une forme de désenchantement au travail, le management doit donner du sens aux collaborateurs afin de les « réenchanter», pour reprendre la formule de Marcel Gauchet. Il faut donc leur redonner l’envie d’entreprendre ensemble, comme une tribu unie par le même dessein et mue par les mêmes principes d’efficacité et de coopération. Cela doit se faire dans des relations apaisées parce que régulées. Le centre de gravité des pratiques managériales doit donc se déplacer et ne plus concerner le seul contrôle des performances individuelles mais plutôt la régulation des relations entre les collaborateurs. C’est ainsi que le manager peut créer de meilleures conditions de bien-être et donner du sens au travail, condition sine qua non de la performance collective. Pour construire et délivrer le sens à ses collaborateurs, il doit revoir ses postures managériales autour de quelques axes simples et être :
- un relai de la culture et de la stratégie de l’entreprise ;
- un porteur du sens de l’action collective et de la réalisation personnelle ;
- un animateur de la communauté au travail ;
- un régulateur des relations interpersonnelles ;
- un leader de son équipe pour la plus grande performance collective.
Ayant retrouvé le sens de leur travail, les collaborateurs seront moins exposés au brown-out et l’entreprise à la sous-performance puisque des collaborateurs trouvant du sens sont en meilleure santé, plus présents, plus motivés et plus créatifs.