La tempête médiatique et la consternation du grand public provoquées par l’explosion de la plateforme Deepwater Horizon de BP, le Dieselgate de Volkswagen, et par bien d’autres scandales récents, témoignent du ravage que peuvent provoquer les crises environnementales sur la réputation des entreprises qui en sont responsables.
Ces entreprises paraissent encore plus coupables lorsque leurs partenaires, engagés conjointement dans des alliances stratégiques depuis plusieurs années, se détournent d’elles.
Ainsi, un déterminant majeur de l’étendue du dommage causé à la réputation de ces entreprises est lié à la réaction, de soutien ou d’abandon, voire même d’hostilité, de leurs partenaires. Pour ces derniers, le choix de l’attitude à adopter est complexe. Soutenir ou abandonner son allié est un choix qui peut se faire à son avantage mais aussi … à ses dépens.
Soutenir ou abandonner son partenaire
Le succès des alliances inter-organisationnelles tient à l’idée, très répandue dans le monde des affaires, que les entreprises gagnent plus à s’entendre et à collaborer qu’à poursuivre leurs projets seuls.
Les gains attendus de ces alliances sont nombreux, que cela soit l’accès à des ressources, connaissances ou technologies (que l’on ne possède pas) permettant de développer de nouveaux produits et services, l’entrée facilitée sur des marchés étrangers, ou encore le partage de risques financiers.
Les partenaires d’une entreprise responsable d’une crise environnementale pourraient être tentés de protéger ces gains collaboratifs en maintenant le bon fonctionnement de leur alliance et en apportant un soutien à un allié, malmené par une campagne médiatique hostile.
Cependant, un tel choix de la part des partenaires peut créer les conditions d’une contagion de la crise environnementale qui peut se révéler à son tour très dommageable pour leur propre réputation. Cette contagion du préjudice réputationnel, où les partenaires sont « mis dans le même sac » que l’entreprise coupable, est un phénomène paradoxal en regard de l’idée communément admise que la réputation d’une entreprise est une ressource qui lui est propre et qui ne peut donc être transférée à d’autres entreprises.
Ce paradoxe s’explique en ayant recours à une métaphore sanitaire dans laquelle la contamination réputationnelle se fait par l’entremise de l’alliance qui joue un rôle de vecteur de contagion auprès des différents partenaires.
En conséquence, et afin d’éviter d’avoir leur propre réputation contaminée par un scandale environnemental provoqué par un autre, les partenaires de l’entreprise responsable d’un tel scandale peuvent être tentés de mettre un terme à leur alliance et de prendre leur distance vis-à-vis de leur ex-allié.
Un exemple illustratif de ce choix est celui d’Anadarko Petroleum accusant son partenaire BP de négligences et se détournant publiquement de lui à la suite de la catastrophe écologique de Deepwater Horizon (note 1).
Les alliés les plus proches sont les moins coopératifs
Dans une recherche récente (note 2) , nous avons analysé les réactions des entreprises face au risque d’une contamination réputationnelle provenant d’une crise environnementale provoquée par leur partenaire.
Cette recherche, conduite auprès de dirigeants d’entreprises manufacturières en Norvège, a montré comme résultat principal que les partenaires les plus proches de l’entreprise responsable de la crise sont également celles qui sont le plus susceptibles de mettre un terme à leur alliance ; cette proximité étant mesurée par la nature stratégique, formalisée et fortement visible de l’alliance dans laquelle sont engagés les partenaires.
La principale explication à apporter à un tel résultat est que ces partenaires « proches » du cœur du déclenchement de la crise sont les plus menacés par une contamination réputationnelle, notamment en comparaison avec des partenaires plus distants.
En effet, les partenaires d’alliances fortement stratégiques, formalisées et visibles sont souvent perçus dans leur écosystème comme étant fortement liés entre eux par une forte proximité et assistance inter-organisationnelles. Dans une telle configuration d’alliance, ces partenaires « proches », sensibles à la protection de leur réputation, sont plus enclins à prendre leur distance.
Intégrer des scénarios de réaction de ses partenaires dans une gestion proactive de crise
En considérant ici l’impact majeur du risque de contamination réputationnelle sur le choix de soutenir ou d’abandonner son allié et au-delà, sur l’étendue du dommage causé à la réputation de l’entreprise responsable d’un scandale environnemental, nous mettons en lumière une dimension clé de la gestion de crise que cette dernière doit impérativement mettre en place.
Pourtant, à y regarder de plus près, cette dimension est souvent absente de l’agenda quand les plans de gestion de crise sont élaborés.
Les plans de gestion de crise associent traditionnellement plusieurs dimensions (transparence, identification et gestion des parties prenantes, communication …) dans le but de limiter autant que possible l’impact délétère d’une crise, si celle-ci survient, avec comme objectif prioritaire d’atténuer le préjudice réputationnel.
Dans la préparation de ses plans de gestion de crise, l’entreprise qui intègre les risques potentiels de contamination réputationnelle de ses alliés possèdera une longueur d’avance si celle-ci se retrouve prise dans un scandale environnemental.
Bien que l’entreprise impliquée dans un tel scandale ne puisse exercer un contrôle entier sur les réactions de ses partenaires, et aura les plus grandes difficultés à convaincre des alliés en pleine défiance à revenir à une attitude plus conciliante, elle peut néanmoins se construire des scénarios et des plans d’action permettant de ne pas laisser basculer des partenaires défiants dans une attitude de franche hostilité.
Ces scénarios et plans d’action trouvent aussi toute leur utilité pour intégrer les partenaires « solidaires » dans un processus de rétablissement de la réputation et surtout, pour maintenir le lien avec les partenaires attentistes et indécis en évitant que ces derniers ne basculent dans une attitude hostile et mettent un terme à leur alliance.
L’intégration de ces profils attentistes et indécis dans la préparation de scénarios et de plans de gestion de crise est cruciale car ces profils spécifiques représentent souvent la majorité des attitudes observées pour des entreprises confrontées à une crise environnementale chez leur partenaire. Notre recherche conduite auprès de dirigeants d’entreprises manufacturières en Norvège a confirmé cela en montrant que lorsque ces derniers étaient mis dans la situation d’une crise environnementale chez l’un de leurs partenaires, une majorité d’entre eux (61,4%) adoptait un profil attentiste alors que seulement 19,1% affichait une forme de solidarité et 19,5% une franche hostilité.
Concrètement, une telle gestion proactive de crise implique de mieux anticiper qui, parmi ses partenaires, sont les plus susceptibles de prendre leur distance, et de faire en sorte que l’essentiel des efforts de communication soient dirigés vers ces partenaires potentiellement peu conciliants et solidaires.
D’une manière plus générale, cela signifie également mieux appréhender les attitudes et processus de décision de ses partenaires en matière de gestion de crise, d’établir clairement leur seuil de tolérance au risque réputationnel, et de les rassurer et de s’efforcer de satisfaire leurs attentes dans la mesure du possible et du raisonnable.
Enfin, une gestion proactive de crise s’entend, bien évidemment, du point de vue du « contaminateur » mais aussi de celui du « contaminé » et ici le conseil avisé de George Washington garde toute son actualité : « veiller à ne collaborer qu’avec des partenaires de bonne qualité si vous estimez votre propre réputation ; car il est toujours mieux d’être seul qu’en mauvaise compagnie ».
Cet article est co-signé par Pierre-Xavier Meschi, professeur à SKEMA
Note 1: Korosec, K. (2010). BP CEO Tony Hayward goes yachting while its partner prepares to sue over oil spill. CBS News. Article en ligne récupéré à l’adresse suivante : https://www.cbsnews.com/news/bp-ceo-tony-hayward-goes-yachting-while-its-partner-prepares-to-sue-over-oil-spill/ (dernier accès à cet article en ligne le 25 Août 2020).
Note 2 :Norheim-Hansen, A., & Meschi, P.-X. (2020). De-Escalate Commitment? Firm Responses to the Threat of Negative Reputation Spillovers from Alliance Partners’ Environmental Misconduct. Journal of Business Ethics (https://doi.org/10.1007/s10551-020-04543-z).