Malgré la vente en ligne et les efforts de la grande distribution, les stocks d’anciens millésimes ne s’écoulent pas et le Comité National des Interprofessions des Vins (CNIV) prévoit une chute des ventes de 40 à 50%. Alexandra Couston, professeure à KEDGE et sa co-autrice Jeanne Fléchon dévoilent les différentes tactiques des viticulteurs pour surmonter cette crise supplémentaire que subit la filière viticole.
Les experts de KEDGE ont conduit une étude qualitative auprès de cinq domaines issus de régions différentes entre le mois d’avril et le mois de mai 2020, afin d’observer la situation sur le terrain ainsi que les dispositifs mis en œuvre par les viticulteurs.
Le recours aux aides de l’Etat
La trésorerie des domaines cristallise les inquiétudes. Outre les problèmes de stocks d’anciens millésimes qui ne s’écoulent pas, les recettes sont inexistantes alors que les dépenses fusent. Pour venir en aide à la filière, le gouvernement propose des prêts garantis par l’État. Un soutien déterminant en ces temps difficiles. Gaëlle Gautier, vigneronne au Château de Lignane, confirme : « Les banques ont joué le jeu, il nous a été très facile d’obtenir ce prêt ». Philippe Brand, responsable de production chez Domaine Brand&Fils regrette cependant l’absence d’allègement d’impôts et de charges sociales : « Ces aides sont les bienvenues mais nous savons que nous devrons dépenser de grosses sommes d’argent pour rembourser, et nous n’aurons pas forcément les liquidités ». Tous les curseurs ne semblent pas encore réglés.
Conjuguer adaptation et anticipation
Pendant ce temps, la vigne n’attend pas. Les salariés viticoles œuvrent pour que le millésime 2020 voit le jour. L’espacement entre les rangs de vigne facilite heureusement la distanciation sociale. Cependant, de sérieuses interrogations demeurent pour les vendanges, sachant que pour l’instant, les travailleurs étrangers ou éloignés n’ont pas pu se déplacer.
Pour les équipes administratives, le télétravail ou le chômage partiel sont de mises. Certains viticulteurs voient naître un élan de solidarité entre les équipes des bureaux et de la vigne, comme en témoigne Sabine Baldès, gérante du Clos Triguedina « La cohésion et l’entraide sont essentielles au bon déroulement de cette période de crise ».
Maintenir la communication pour exister, voire vendre
La crise pousse les professionnels à trouver des solutions alternatives. Philippe Brand, viticulteur en Alsace, redouble d’inventivité pour continuer à communiquer autour de ses vins. Le blocage de ses canaux habituels de distribution l’a incité à ouvrir un site de vente en ligne et à proposer du contenu original sur les réseaux sociaux : « La crise rend créatif. Il est très important de garder le lien avec le consommateur ». Au Clos Triguedina, la famille Baldès a mis en place un système d’expédition aux particuliers et a également réactivé les distributeurs en ligne. Cela est possible quand la filière logistique fonctionne... Certains domaines se tournent vers les cavistes ouverts pour proposer leurs vins aux consommateurs. Néanmoins, « la fréquentation demeure très calme » souligne Gaëlle Gautier, exploitante dans la Vallée du Rhône.
En Champagne, le Domaine Forget-Chemin collabore avec Cuvée Privée pour fidéliser sa clientèle : « La communication précipitée n’est pas toujours efficiente. Cuvée Privée est une façon de stimuler la relation-client en temps de crise grâce à du contenu régulier, alimenté par le domaine ».
Si les relations virtuelles ont été décuplées pendant le confinement, la multiplication des acteurs nécessite une stratégie élaborée et les ventes en ligne en période de crise n'ont pas boosté significativement l'activité commerciale de tous les domaines en raison de contraintes logistiques (expédition) et de problèmes techniques (paiement en ligne, connexion, accès au site internet...).
Diversification de l’activité, l’option de l’œnotourisme
En temps normal, dix millions d’œnotouristes viennent chaque année en France à la découverte des vignobles, dopant ainsi l’essor de ce secteur (+33% de croissance depuis 2009 selon Atout France). Parmi eux, 5.8 millions de français et 4.2 millions d’étrangers.
Château de Pressac et le Clos Triguedina, par exemple, miseront cet été sur l’œnotourisme pour pallier la crise en ciblant les clientèles française et locale. Sabine Baldès, gérante du Clos Triguedina, s’appuiera également sur le relais des organisations professionnelles locales et des acteurs publics collectifs « Nous allons travailler main dans la main avec nos partenaires du Lot-et-Garonne et considérer notre Pavillon des Vins comme un atout et non comme une charge financière ». Inauguré il y a un an à peine, le Pavillon des Vins est idéal pour accueillir du public dans quelques semaines.
Le Château de Pressac est très prisé par les œnotouristes. Cette année, le nombre de groupes va être limité, et les mesures sanitaires très strictes. Jean-François Quenin, propriétaire du Château, ajoute « Il faudra repenser le circuit de visite et le moment de la dégustation. » Un travail fastidieux mais indispensable à la reprise de l’activité.
Toutefois, tous n’ont ni les infrastructures adaptées à l’accueil d’oeno-touristes, ni le personnel suffisant ou polyvalent pour construire une expérience de visite élaborée et rentable.
La filière viticole est dépendante de la conjoncture économique et touristique dont le Covid-19 a rebattu les cartes. « Il nous est impossible d’avoir une vision claire du futur. Il y a trop d’inconnus dans l’équation » s’inquiètent les viticulteurs. Les domaines tentent de choisir la solution la moins douloureuse possible et espèrent pouvoir récolter les fruits de leur travail.
Alexandra Couston et Jeanne Flechon se tiennent à votre disposition pour toute demande d'interview ou reportage sur ce sujet d'actualité.