Confronté à une grave crise ayant entaché sa réputation, Volkswagen a pourtant détrôné Toyota de sa place de leader mondial de l’automobile au terme de l’année 2016. Expliquer ce paradoxe conduit à croiser des explications d’ordre structurel avec des considérations relevant de la stratégie marketing et de communication du groupe.
Un portefeuille de marque équilibré
À l’instar d’autres grands groupes aux « marques multiples » (Kering, Unilever, LVMH, Procter & Gamble), Volkswagen a construit un portefeuille de marques équilibré pouvant s’adresser à des cibles très différentes attirées par le bas de gamme (Seat), le moyen de gamme (Volkswagen, Skoda), le haut de gamme (Audi, Porsche) ou le très haut de gamme (Lamborghini).
Par ailleurs, le géant allemand est également présent sur les segments des poids lourds (Man, Scania) et des motos (Ducati). Cette stratégie de « marques multiples » permet, entre autres, de protéger l’entreprise en cas de crise affectant l’une de ses filiales. Les clients n’ont ainsi pas forcément fait le lien entre Volkswagen et les autres entités également impliquées par le Dieselgate. Nous pouvons ainsi constater que la quasi-totalité des marques du groupe ont enregistré des résultats à la hausse en 2016 (+6,8 % pour Skoda, +3,8 % pour Audi, +2,6 % pour Seat, +5,6 % pour Porsche).
A contrario, des entreprises ayant fait le choix de la « marque ombrelle », à savoir une seule marque couvrant l’ensemble des activités, segments et produits (Yamaha, Apple), peuvent être impactées dans leur ensemble par un scandale touchant une seule entité. À titre d’exemple, le retrait de la vente du smartphone Samsung Galaxy Note 7 suite à un problème de fabrication des batteries peut être susceptible de remettre en question la réputation de l’empire Samsung et de jeter l’opprobre sur tous les produits de la marque utilisant une batterie. Afin de rassurer ses consommateurs, l’entreprise coréenne a d’ailleurs lancé récemment une publicité très « corporate » mettant en scène la minutieuse procédure de contrôle de la sécurité des appareils.
La gestion d’une crise existentielle
Outre l’efficacité de son architecture de marque, la gestion de la crise a sans doute également permis au groupe de redresser partiellement son image. À l’instar de Nike, touchée à la fin des années 90 par un scandale lié à ses sous-traitants, Volkswagen a su progressivement remettre en question ses fondamentaux de gestion.
Pourtant, au moment où le scandale des moteurs truqués est révélé, l’entreprise sembla désarçonnée par la dimension émotionnelle d’un problème qui venait de faire voler en éclat sa réputation de sérieux et de fiabilité. Les dirigeants ne s’exprimèrent pas les jours suivant la révélation de la tricherie alors que la tempête faisait rage dans la presse ainsi que sur les réseaux sociaux.
Puis le PDG Martin Winterkorn fut finalement forcé à admettre la culpabilité de l’entreprise en invoquant la responsabilité d’un petit nombre de personnes tandis que Michael Horn, patron de Volkswagen America, admit que le groupe avait « totalement merdé ».
Passée cette cacophonie initiale, Volkswagen a initié une stratégie de communication de crise classique au sein d’un processus plus fondamental de remise en cause de la gestion de l’entreprise. Volkswagen a tenté de rassurer ses clients ainsi que l’opinion publique en chiffrant précisément l’ampleur des dommages (rachat ou réparation des 475000 véhicules concernés, chaque propriétaire touchant une indemnité de 5200 dollars).
Si la marque a continué ses campagnes publicitaires, elle a supprimé, par contre, un de ses éléments identitaires, à savoir son slogan, le très arrogant « Das Auto ».
Suite au remerciement de l’ancien PDG Martin Winterkorn, une enquête interne demandée par le nouveau patron, Mathias Müller, a déterminé clairement la responsabilité des dirigeants depuis plusieurs années. Tentant de faire table rase du passé, la nouvelle direction a décidé de bouleverser à la fois son organisation et ses orientations stratégiques.
Ainsi, l’organisation centralisée et autoritaire du groupe fut progressivement remaniée au profit d’une philosophie managériale rendant l’autonomie décisionnelle aux filiales. Par ailleurs, l’annonce en juin 2016 du plan « Strategy 2025 » permit à Volkswagen de préciser ses nouvelles orientations stratégiques à savoir l’écologie, les nouvelles technologies et la rentabilité, contrastant avec les discours antérieurs axés sur des stratégies de volume.
L’impact du « Dieselgate » sur les consommateurs surestimé
Enfin, l’impact de cette crise sur les consommateurs a sans doute été surestimé. Comme dans de nombreuses autres « affaires », la caisse de résonance médiatique ainsi que l’emballement sur les réseaux sociaux ont certes particulièrement remué l’opinion publique. Une entreprise « historique » a menti sciemment à ses clients, de surcroît sur un aspect du produit lié au développement durable. La cause était entendue, le colosse allemand de l’automobile n’allait pas s’en relever.
Force est de constater qu’il n’y a pas eu de boycott ni de significative sanction commerciale un an plus tard. Là encore, plusieurs facteurs peuvent expliquer cet état de fait. En premier lieu, le fait que d’autres constructeurs aient dû également faire face à la même problématique a plutôt eu l’effet de porter la suspicion sur l’ensemble du secteur automobile et des moteurs diesel en général.
Ensuite il est légitime de se demander si les consommateurs sont sensibles à la valeur d’usage ou à la valeur sociétale d’un véhicule Volkswagen ? Les acheteurs des différentes marques du groupe choisissent-ils ces modèles pour leur performance écologique ou pour d’autres motifs liés à leur puissance ou leur image ? Cette affaire confirme que l’environnement est une préoccupation globalement partagée par les conducteurs mais qu’elle n’est pas déterminante au moment de l’achat.
Enfin, le scandale semble avoir touché plus particulièrement les clients américains puisque la marque a constaté une baisse de 7,2 % aux États-Unis par rapport à 2015. Or, la performance commerciale record du groupe (10,3 millions d’unités vendues dans le monde en 2016) s’explique surtout par le dynamisme du marché chinois, où Volkswagen affiche une hausse de 12,2 % de ses ventes.
Transformer une crise et opportunité
Une entreprise touchée par le plus grand scandale de son histoire peut-elle réussir l’année suivante une performance commerciale record Volkswagen, protégé par l’équilibre de son portefeuille de marques et boosté par ses ventes en Chine, a su relever ce challenge en réussissant, sur le long terme, sa communication de crise ainsi qu’en ayant fait évoluer sa philosophie et son état d’esprit.
La force des grandes marques réside en leur capacité à « leverager » les crises, c’est-à-dire à transformer une menace en opportunité. Nike, Nestlé, Total ont su également par le passé se remettre de crises majeures ayant impacté leur image, leur réputation, leur indice boursier ou leurs ventes.