Dynacure, 47 millions (Strasbourg), Quantum Surgical, 42,4 millions, (Montpellier), Klaxoon, 42 millions (Rennes), Enyo Pharma, 40 millions (Lyon), Aledia, 30 millions (Grenoble). Ces cinq start-up ont toutes un point en commun, celui de ne pas avoir leur siège social à Paris ! Elles font également partie des 21 start-up qui ont levé le plus d’argent en 2018. Alors certes, les start-up parisiennes continuent d’être régulièrement mises en avant, mais la réussite insolente de ces quelques entreprises provinciales montre qu’il est tout à fait possible de se développer en dehors de la capitale. Ainsi de nombreuses grandes villes ont fait le pari, avec succès, de développer des écosystèmes innovants permettant à ces jeunes pousses de grandir… et surtout de rester sur leur territoire d’origine !
Par écosystème innovant, la BPI désigne « un ensemble d’acteurs – organisations, entreprises, start-up, universités, investisseurs, personnes, ressources – qui interagissent en faveur de l’innovation ». La définition d’un écosystème entrepreneurial fait l’objet d’un consensus généralisé : il s’agit avant tout d’une communauté économique soutenue par l’interaction d’individus et d’organisations. C’est un système d’acteurs hétérogènes qui fonde une communauté d’intérêt stratégique partageant notamment des ressources et des compétences.
Les liens entre territoires et entrepreneurs sont bidirectionnels. L’écosystème conditionne l’activité des acteurs qui le composent, lesquels peuvent à leur tour conditionner l’écosystème par les actions et les interactions qu’ils entretiennent avec les autres acteurs de l’écosystème. Les écosystèmes innovants placent généralement les entrepreneurs au cœur du système et s’appuient sur plusieurs éléments essentiels. Ainsi, l’entrepreneur américain Brad Feld résume dans un ouvrage de 2012 les quatre éléments majeurs d’un écosystème entrepreneurial innovant :
- Les entrepreneurs doivent diriger la communauté des start-up ;
- Les dirigeants doivent avoir un engagement à long terme ;
- La communauté des start-up doit inclure tous ceux qui souhaitent y participer ;
- La communauté des start-up doit avoir des activités continues qui impliquent l’ensemble des entrepreneurs.
Un focus sur l’agglomération bordelaise
Dans le cadre d’une recherche sur l’agglomération bordelaise, nous avons voulu examiner si les facteurs identifiés par Brad Feld étaient opérants dans le cas de cette métropole régionale. Cette enquête a nécessité à la fois une analyse statistique et une observation participante d’un des auteurs. Les résultats valent évidemment pour Bordeaux mais ont une portée plus générale puisque les grandes métropoles régionales tendent à partager des structures et des dynamiques comparables.
L’écosystème bordelais se compose de deux piliers essentiels :
- Des entrepreneurs, à la tête des start-up se situent au cœur de l’écosystème ;
- D’autres acteurs y participent de façon plus ou moins directe : institutionnels, investisseurs, universités et grandes écoles, médias, chambres consulaires, etc.
Une cartographie des membres de la French Tech Bordeaux illustre la diversité des start-up et entrepreneurs évoluant au cœur de cet écosystème.
Pour avoir une véritable lecture « écosystémique », il faut s’attarder sur une autre infographie également fournie par la French Tech Bordeaux et qui complète utilement la première. La combinaison des deux permet de saisi l’interaction entre les différents types d’acteurs, certains privés, d’autres institutionnels, en support comme au cœur de l’écosystème entrepreneurial. Le plus notable, et cela n’est pas anodin, est la place centrale accordée aux évènements spécifiques à l’écosystème, qui renvoient de façon directe aux 3e et 4e facteurs identifiés par Feld.
Dans le cadre de cette recherche, nous nous sommes attachés à étudier cet écosystème en considérant que les évènements constituaient un bon indicateur de son dynamisme. Au total, 784 événements entrepreneuriaux ont été analysés. Ces événements ont été diffusés par la French Tech Bordeaux et se sont déroulés sur le territoire de la métropole bordelaise entre juin 2016 et juin 2019, soit 37 mois consécutifs. Ainsi, notre analyse montre une croissance régulière du nombre d’événements à Bordeaux.
Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette étude. Premièrement, l’écosystème entrepreneurial bordelais connaît une croissance soutenue du nombre d’événements qui y sont organisés. C’est donc un bon indice de son dynamisme et de sa santé.
Deuxièmement, quand on examine de près les données, on constate une réduction progressive de la part du nombre d’événements organisés par des organismes institutionnels (collectivités, clusters et pôle de compétitivité, French Tech Bordeaux, chambres consulaires) et une progression du nombre d’événements organisés par des privés (associations, écoles, universités, entreprises, fonds d’investissements, syndicat, structures d’accompagnement).
Une dynamique impulsée par les entrepreneurs
Certains pourraient s’émouvoir de ce mouvement. Or, il est largement positif. Cet élément montre à la fois la complémentarité des événements institutionnels/privés mais également une substitution progressive des acteurs privés par rapport aux acteurs institutionnels. Ceci peut être clairement interprété comme un bon indicateur de la « santé » et du dynamisme de l’écosystème entrepreneurial bordelais si l’on suit l’analyse de Brad Feld. Ce dernier souligne combien les entrepreneurs doivent véritablement impulser une dynamique dont ils doivent être à l’origine.
Enfin l’augmentation aussi bien quantitative que qualitative des événements, combinée à une plus grande diversité parmi les acteurs est un dernier élément démontrant le dynamisme de cet écosystème.
Nos résultats démontrent que les facteurs identifiés par Feld sont bien présents et opérants dans le cadre de l’écosystème bordelais. La dynamique observée sur les dernières années démontre à l’évidence que les acteurs institutionnels ont assurément nourri l’écosystème avec des événements qui ont permis l’attraction d’entreprises… ce qui a contribué à son tour à la croissance de l’engagement entrepreneurial. Les institutionnels sont progressivement passés d’un rôle d’impulseur à un rôle de soutien, alors que les entreprises ont gagné en autonomie et collaborent davantage.
Il est donc tout à fait possible pour les start-up françaises de réussir en dehors de Paris ! Le dynamisme des écosystèmes régionaux dépend évidemment de la complémentarité entre acteurs privés et institutionnels mais dépend également de la dynamique propre à l’écosystème au centre duquel doivent nécessairement figurer les entrepreneurs et les start-up. C’est sans doute là le secret de la réussite de ces écosystèmes régionaux.