Le domaine de la santé, et plus précisément celui du soin et de l’accompagnement du patient à l’hôpital, dans les établissements médico-sociaux et à domicile, connaît une profonde mutation. S’il fait face à des défis de plus en plus complexes et multiples (maladies chroniques, inégalités et renoncement aux soins, vieillissement de la population, renchérissement du coût de certains traitements, renforcement des contraintes économiques), il connaît simultanément un bouillonnement d’initiatives et d’idées nouvelles. Les objets connectés, la télémédecine, la prévention et la personnalisation du soin, par exemple, offrent de grandes possibilités.
Tout cela répond à un axe majeur de réorganisation : la mise en place de parcours de santé plus fluides et coordonnés. Les objectifs sont multiples : réduire les durées d’hospitalisation, favoriser d’autres modes de soin et d’accompagnement, éviter la redondance des actes médicaux, appréhender le patient dans la globalité de sa situation, y compris en trouvant des solutions pour accompagner sa famille.
Décloisonner le secteur de la santé
La réponse à ces enjeux suppose de soutenir des innovations aux frontières de nombreux secteurs (numérique, robotique, génomique, éducation) et qui impliquent différents champs d’intervention autour du patient (handicap et vieillissement, hôpital et domicile, prévention et soins curatifs…).
Or le secteur de la santé est fortement réglementé, cloisonné et institutionnalisé. Les différentes sphères qui le constituent (biotechnologies, entreprises pharmaceutiques, fournisseurs de dispositifs et d’équipements médicaux, établissements de soin, intervenants à domicile, associations d’usagers) ont encore peu l’habitude de travailler ensemble, chacune étant « enfermée » dans son propre système de normes, de contraintes et d’enjeux.
C’est ce cloisonnement qui explique que l’écosystème peine à exploiter pleinement ses capacités d’innovation, à se transformer durablement pour améliorer concrètement l’état de bonne santé de la population, dans un souci d’équité sociale et de maîtrise économique.
Pour relever ces défis, nous devons décaler notre regard sur l’innovation. Innover dans le soin et dans l’accompagnement nécessite d’abord de renouveler les approches managériales, les business models, les processus de créativité, la gouvernance, l’évaluation… bref, de créer et de piloter des espaces favorables à l’innovation, pour dialoguer, imaginer et expérimenter de façon plus collaborative et ouverte.
Des espaces pour faire émerger l’innovation
La fin de ce cloisonnement du secteur de la santé passera par la création d’espaces dédiés, dont le rôle sera de faire émerger l’innovation. Tout dispositif plus ou moins formel et permanent qui peut réunir professionnels, patients, usagers, chercheurs, agences et collectivités publiques, pour innover ensemble, peut remplir ce rôle.
Citons quelques exemples, très différents les uns des autres mais qui prennent la bonne direction :
- Les ateliers de design thinking organisés par le pôle services à la personne de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), pour imaginer des habitats collectifs et connectés ;
- Le mouvement des living labs en santé et autonomie (LLSA), présent dans différentes villes de France ;
- L’Institut du bien vieillir Korian, qui réunit professionnels, chercheurs et associations pour encourager l’innovation, donner envie d’entreprendre et faire remonter « du terrain » des projets prometteurs en faveur du « bien vieillir » ;
- Les Agoras de l’Agence régionale de santé (ARS) PACA, moments de rencontres conçus dans une logique de démocratie et de collaboration, pour identifier et valoriser des initiatives, encourager de nouveaux projets, échanger sur les défis communs ;
- Enfin, des écosystèmes urbains, souvent organisés autour de centres de santé, encouragent des expériences qui réunissent professionnels de santé, habitants, laboratoires de recherche, commerçants ou acteurs de tout autre secteur. On peut citer, dans cette catégorie, les dynamiques créatives mises en place à Montréal ou le projet Humanicité à Lille.
Quatre piliers pour l’innovation ouverte
Ces espaces reposent sur le principe de l’innovation ouverte (open innovation). Nos travaux de recherche nous conduisent à spécifier ces espaces autour de quatre piliers : acteurs, approches méthodologiques, accompagnement managérial et gouvernance.
- L’innovation naît de la diversité d’acteurs. Il faut dès lors prendre au sérieux le choix des partenaires qui y participent et avoir une démarche volontaire pour les identifier et les mobiliser. On note, en particulier, qu’il n’est pas encore toujours naturel de mobiliser les patients ou les professionnels des secteurs connexes à celui de la santé (numérique, habitat, urbanisme…).
- L’innovation jaillit dès lors qu’on encourage de nouvelles connexions entre acteurs. C’est ainsi que des croisements fertiles entre idées, concepts et expériences peuvent se produire. Des approches de type design thinking ou C-K (pour concept-knowledge) sont à promouvoir pour encourager la créativité au-delà des normes, expérimenter de manière agile, adopter une approche en termes de fonctionnalités et d’usages, et non pas sur la base de considérations strictement technologiques.
Présentation de la théorie C-K par Flore Guntzer, responsable R&D et innovation chez Intrapra.
- Se comprendre, s’enrichir et collaborer n’est pas naturel, surtout quand on veut aller au-delà des frontières des secteurs. Investir du temps et des ressources pour accompagner ces expérimentations, donner envie d’entreprendre et se saisir de nouveaux concepts est donc primordial.
- La gouvernance (partagée) des espaces doit embrasser trois facettes. D’abord, une gouvernance stratégique, portée par ceux qui ont suffisamment d’expérience et de légitimité auprès de différents secteurs pour orienter les démarches innovantes et mobiliser les divers acteurs. Ensuite, une gouvernance évaluative, promouvant une évaluation au fil de l’eau, pour démontrer la plus-value apportée et identifier les transformations à opérer pour soutenir l’appropriation de l’innovation. Enfin, une gouvernance associant monde professionnel et monde académique, enfin, pour évaluer l’importance de la transformation des pratiques et des usages que permettent ces espaces.