Quelle place pour les salariés dans la gouvernance des coopératives agricoles ?

Autre

publication du 30/11/2018

Les coopératives constituent des entreprises particulières, créées par et pour leurs membres.

Elles partagent des valeurs communes, rassemblées sous les sept principes de l’Alliance coopérative internationale. Leur fonctionnement et leur gouvernance, réputée démocratique, diffèrent des entreprises privées classiques. Les coopératives agricoles partagent ce même ADN coopératif mais elles s’intéressent peu fréquemment à la question de la participation de leurs salariés au sein des instances de gouvernance. Or, la recherche académique comme les récentes évolutions du droit français soulignent la nécessité et l’intérêt d’accueillir des administrateurs représentants les salariés au cœur de la gouvernance.

Des coopératives agricoles en retard

En matière de représentation des salariés, la France semble moins avancée que d’autres pays qui ont imposé une composition paritaire des instances de gouvernance des sociétés commerciales (régime dit de codétermination où la moitié des conseils de surveillance est composée de représentants des salariés).

Le modèle allemand est ainsi cité régulièrement, d’autant plus que la recherche a montré que cette représentation des salariés avait plutôt un effet positif dans les entreprises outre-Rhin. En France, la représentation des salariés au sein des conseils d’administration ou de surveillance s’est progressivement étendue depuis les années 2000. Une série de lois récentes (2006201320152018) a notamment abaissé les seuils minimaux de déclenchement de cette représentation obligatoire. Les coopératives agricoles, qui n’ont rien à envier en termes de taille ou d’activités aux grandes entreprises capitalistes, peuvent-elles rester plus longtemps à l’écart de ce mouvement de fond ?

Une question qui fait débat

La présence des salariés dans la gouvernance des coopératives agricoles présente cependant autant d’arguments en sa faveur qu’en sa défaveur. Pour ce qui est des aspects positifs, la présence des salariés peut sembler justifiée car les salariés sont souvent présentés comme l’un des principaux leviers de la création de valeur. Certains travaux relèvent également que leur présence permet d’améliorer la qualité des débats et des décisions prises lors des conseils d’administration car ils ont la capacité de témoigner d’éléments tangibles sur les stratégies envisagées ou mises en œuvre.

Toutefois, la présence de salariés n’est pas naturelle dans des coopératives agricoles dont la gouvernance se fonde sur l’association, plus ou moins harmonieuse, de représentants des agriculteurs et des dirigeants (salariés). Ce tandem classique pourrait se retrouver perturbé par l’arrivée d’une troisième catégorie de « gouvernants ». En outre, la présence de salariés pourrait être perçue comme moins légitime que celle des agriculteurs par exemple, car ces derniers sont très engagés dans la coopérative en étant à la fois fournisseurs, clients et usufruitiers.

C’est cette spécificité en termes de gouvernance qui expliquerait que les coopératives agricoles soient restées à l’écart des principales évolutions des pratiques observées dans les entreprises privées. Pourtant, la représentation des salariés reste possible. Certaines coopératives ont en effet modifié leurs statuts afin d’ouvrir une section d’associés non coopérateurs pour leurs collaborateurs salariés. C’est le cas de LimagrainTerrenaTriskalia ou encore de Acolyance qui comptent un à deux administrateurs salariés au sein de leur conseil. Dans ces coopératives, ces derniers doivent, à l’instar des agriculteurs, détenir des parts sociales, ce qui leur ouvre la possibilité d’être entendus et éventuellement représentés en conseil. D’autres coopératives étrangères, comme le danois Arla, ont par ailleurs mis en place des schémas de gouvernance similaires avec des conseils associant paysans coopérateurs et représentants des salariés.

Des salariés au conseil : propositions et effets potentiels

Ouvrir la gouvernance des coopératives agricoles à des salariés constitue une piste de réflexion qui pourrait s’avérer bénéfique. Les travaux de l’économiste Margaret Blair permettent de dégager quatre aspects essentiels des effets attendus de cette participation :

  • La présence de salariés permettrait de renforcer sensiblement l’identité commune autour d’un projet d’entreprise partagé. Une part très importante de la valeur créée par les coopératives provient de leurs salariés et les associer à la gouvernance permettrait de faire converger agriculteurs et salariés autour d’un même projet stratégique.
  • Leur présence améliore la mise en œuvre potentielle des décisions stratégiques car ils connaissent mieux que les agriculteurs le quotidien de l’entreprise. Ils peuvent ainsi apporter des informations et des analyses précieuses aux administrateurs pour prendre les décisions.
  • Leur présence permet d’augmenter le portefeuille de compétences dont dispose le conseil. On pense naturellement à la compétence « dialogue social », mais aussi à leur connaissance fine et intime des rouages de l’organisation en matière de finances ou de marketing. Des éléments dont ne disposent pas nécessairement les agriculteurs et parfois les dirigeants eux-mêmes.
  • La présence de salariés permet enfin de construire et de développer une culture de la transparence des informations, qui est elle-même un des ingrédients nécessaires à une bonne gouvernance. Elle contribue à responsabiliser tous les acteurs de la coopérative (adhérents, élus, dirigeants et salariés).

Cependant, cette évolution, souhaitable sur le papier, oblige les coopératives à répondre à plusieurs défis. Doit-on limiter la représentation des salariés à la seule catégorie des cadres ou ingénieurs ? Un seul représentant ou plusieurs ? Quel type de représentation en cas d’activités internationales (et de salariés de différents pays) ? Doivent-ils disposer d’une formation spécifique ? Quelles relations avec les dirigeants présents ?

Autant de questions, désormais bien identifiées et traitées dans le cadre des entreprises classiques que les coopératives agricoles doivent encore se poser. D’autant plus que, comme souvent, le diable de la participation se niche dans les détails. Les coopératives agricoles pionnières peuvent à ce sujet constituer des exemples précurseurs pour les autres coopératives qui souhaiteraient ouvrir ce chantier.

Lire plus d'articles de KEDGE sur The Conversation