Cet article a aussi été co-écrit par Marie-Laure Furgala, directrice ISLI MS MSc Global Supply Chain
Nos collègues Emilie Hoareau, Blandine Ageron et Ludivine Chaze-Magnan ont écrit en octobre 2020 un article intitulé « Supply chain management : où sont les femmes ? ».
Elles présentaient un certain nombre de conclusions notamment à partir de leur expérience au sein du Master 2 MCL (Management de la chaîne logistique) à Grenoble IAE et en Licence professionnelle Logistique et pilotage des flux à l’IUT de Valence avec un panel de 229 étudiants.
À travers deux études, l’une menée sur des profils LinkedIn de 1 081 diplômés de 2000 à 2017 et l’autre sur la base de questionnaires collectés auprès de 707 diplômés de 1985 à 2021 du Master spécialisé global supply chain management (ISLI) de Kedge Business School, dont Marie-Laure Furgala a la direction, nous avons continué ces recherches notamment en nous intéressant à la progression de carrière des femmes diplômées et à l’impact d’une expatriation sur cette progression.
Une absence de femmes
McKinsey & Company travaille depuis 2007 sur un programme intitulé « Women matter » (les femmes comptent) qui a donné lieu à plusieurs rapports. Celui de 2010 indiquait que dans l’industrie manufacturière, les femmes représentaient 6 % des conseils d’administration et 10 % des organes de décision, tandis que dans le secteur des transports, elles ne représentaient que 9 % des deux catégories.
Une dizaine d’années plus tard, la situation mondiale n’a quasi pas changé. En 2018, Deloitte a pointé le manque de talents dans les opérations et considéré la diversité comme un moyen d’engager de nouveaux talents. Dans le même ordre d’idées, le Forum économique mondial (World Economic Forum, WEF) a déclaré en 2020 que :
« Certaines professions sont limitées par la disponibilité de talents pertinents, tandis que d’autres pourraient effectivement étendre la parité hommes-femmes en adoptant une plus grande diversité à l’embauche et des pratiques managériales plus inclusives. »
L’enquête de Gartner en 2020 sur les femmes dans la supply chain (chaîne logistique) souligne que « les femmes sont des ressources sous-utilisées dans la soi-disant “guerre des talents” » et que ces dernières ne parviennent pas toujours à franchir les étapes de leur carrière ; les femmes occupant des postes de direction (cadres supérieurs) représentant seulement 17 % de la main-d’œuvre de la supply chain.
Leur nombre en tant que cadres dirigeants tombe à 13 % dans les secteurs industriels où les personnes interrogées préfèrent un diplôme en sciences, technologies, ingénierie et mathématiques pour les recrutements de cadres supérieurs – des filières d’enseignement supérieur déjà connues pour leur manque de parité.
Une limitation dès le départ
Notre échantillon confirme en effet la répartition des genres dans les études supérieures : 33,5 % sont des étudiantes contre 66,5 % d’étudiants. Les dés sont donc pipés dès le départ alors que la répartition des genres dans les cursus en sciences de gestion est réputée pour être la plus proche de la parité de l’ensemble des spécialités de l’enseignement supérieur.
De plus, aucune évolution significative n’est à noter entre 2000 et 2017. La répartition change peu. Il est donc plus qu’important de sensibiliser à ce sujet afin de promouvoir et d’encourager l’accès des jeunes filles à ces programmes. En effet, la revue de la littérature a montré qu’évoluer dans un contexte très masculin conduit à des préjugés dans l’évolution de carrière des femmes.
Une augmentation du nombre de femmes dans la profession permettrait de changer cet environnement et de briser ce premier plafond de verre. L’abattre est de la plus haute importance afin de combler le manque de talents dans le domaine du management de la supply chain comme l’indique une étude de Garner de 2020.
Une stagnation de carrière
Une fois diplômées et entrées dans la vie active, les femmes sont 80 % à commencer au niveau employé contre 73 % des hommes. Elles passent également plus de temps à chaque niveau hiérarchique. Ainsi, les femmes qui ont atteint le niveau le plus élevé (niveau de direction) ont mis plus de temps que les hommes à l’atteindre : elles sont 66 % à être toujours au niveau « employé » contre 54 % des hommes dans leur emploi actuel (versus leur premier emploi).
Le plafond de verre se confirme donc. On a tendance à penser qu’une expatriation est forcément un accélérateur de carrière mais notre étude ne confirme pas cette croyance. Le genre a quatre fois plus d’impact sur la progression de carrière que l’expatriation. Une femme, en s’expatriant, ne compensera que faiblement voire pas du tout le simple fait d’être une femme.
Si les salaires bruts déclarés par les répondants sont similaires à la sortie du diplôme, une différence de 17,10 % se dessine entre les femmes et les hommes de notre échantillon lorsqu’ils déclarent leurs salaires actuels. Ceci est révélateur des inégalités salariales dans la fonction supply chain.
En effet, dès le début de carrière, la progression salariale des femmes est en recul par rapport à celle des hommes. L’écart se creuse au bout de 5 ans avec une progression deux fois plus rapide chez les hommes que chez les femmes. Au bout de 15 ans, le salaire moyen des femmes est en retard de 5 ans sur celui des hommes et les chiffres montrent qu’elles ne rattrapent jamais cette marche.
Comment agir ?
La première action est la promotion des métiers de l’industrie, des transports, du e-commerce, etc. La supply chain est partout et ses métiers très divers. Plusieurs initiatives vont dans le bon sens : un livre à destination des élèves de primaire, un jeu de cartes à destination des lycéennes, etc.
Il faut multiplier ces bonnes pratiques pour augmenter le nombre de femmes dans les études liées au supply chain management et ainsi changer le paysage professionnel de ce secteur. Ce changement de paysage serait profitable à toutes les parties prenantes, dont les entreprises, puisqu’il a été prouvé maintes fois que plus de diversité amène plus de performance financière.
La deuxième action est la nécessité pour les écoles et les universités de se mobiliser sur la question de la formation des jeunes femmes à la négociation salariale. Puis, les entreprises doivent prêter attention à la promotion interne. Les raisons d’une stagnation de carrière peuvent être différentes selon chaque situation (rôle social dans l’organisation « traditionnelle » de la famille, équilibre vie professionnelle et vie privée, discrimination genrée, voir même harcèlement sexuel dans un milieu très masculin, etc.). Cependant, il semble crucial de prêter attention à ce fait.
Enfin, il faut renforcer le pouvoir des femmes en tant que praticiennes de la supply chain en leur offrant des statistiques claires sur les inégalités qui subsistent entre les deux sexes dans l’évolution d’une carrière en supply chain management et en leur montrant que même le choix de l’expatriation ne compenserait pas pleinement le fait qu’elles soient des femmes.