Le contexte
Selon Granjon (2021), 68% des étudiants déclarent avoir eu une perte de motivation à suivre
des cours en ligne lors de la pandémie de Covid-19 ; et 66% estiment rencontrer des difficultés
de concentration.
Plus largement, UNESCO a estimé que 1,6 milliards d’apprenants non pas pu
assister à leur cours dans leur institution à un moment ou à un autre (Karsenti & al 2021) ; et
quand on prend en compte la situation financière, sociale et psychologique de ces derniers, ce
sont des arrêts définitifs d’études qui ont été constatés.
Ces constats sont encore plus dramatiques dans les pays où l’accès à la formation est déjà compliqué en temps hors crise. C’est une part importante d’une génération qui doit stopper ses études et qui ne pourra contribuer au développement économique et sociétal de son pays. Ainsi, les étudiants provenant
de familles modestes sont 55% plus susceptibles d’avoir a subir un report de diplôme en raison
de la pandémie (Esteban & al, 2020).
La crise sanitaire a mis en valeur l’importance à lutter contre la fracture numérique dans les
parcours de formation.
Parce que lui-même en perte de motivation et de concentration derrière son écran, Charlie Tiger
a parcouru la littérature pour s’intéresser au courant de l’intelligence émotionnelle (Salovey &
Mayer, 1990) et à la pratique de la pleine conscience (Kabat-Zinn, 1994) pour renforcer
l’attention des étudiants durant un cours.
Une récente recherche (Weare et al., 2021) ont montré l’influence positive d’une pratique de pleine conscience sur des jeunes élèves et des étudiants.
Mais, déjà en 2010, Heyman (2010) avait montré que, bien avant la pandémie de Covid-19,
l’auto discipline des étudiants est un des trois facteurs les plus important dans la réussite des
étudiants sur des formats d’apprentissage en ligne.
Le présent mémoire entend poursuivre cespremiers travaux de manière qualitative, auprès d’étudiants français, et pose la question suivante : « l’introduction à distance de pleine conscience peut-elle améliorer la concentration des étudiants sur un format de cours en ligne ? ».
Le cadre théorique
Selon Mayer et Salovey, (1990) l’intelligence émotionnelle correspond à la dimension affective
de l’intelligence et se baserait sur cinq grands piliers : connaitre ses propres émotions, gérer ses
propres émotions, l'automotivation, reconnaitre les émotions des autres et la gestion de la
relation avec les autres (sociales et affectives). La pleine conscience se définit comme « prêter
attention d'une manière particulière : avec un but précis, dans le moment présent, et sans
jugement » Kabat-Zinn, (1994:4).
La pleine conscience et l’intelligence émotionnelle sont deux concepts liés qui impliquent une absence de jugement sur la pensée ou les émotions. En effet, l’élément décrit par (Schutte & Malouff, 2011) qui permettrait de faire progresser son niveau d’IE à travers la pleine conscience serait notamment le caractère non évaluatif de cette pratique.
La pleine conscience augmenterait l’intelligence émotionnelle car elle permet de : mieux
comprendre ses propres émotions, de comprendre et d’identifier les émotions de nos proches,
collègues et personnes avec qui nous interagissons et enfin de permettre la régulation
émotionnelle (Charoensukmongkol, 2014).
Après avoir fait suivre des modules de pleine conscience à distance, Nadler & al (2020 prouvent une amélioration de l’humeur, une réduction du stress et des humeurs négatives sur le lieu de travail. Les employés ayant participé à cette étude ont amélioré leur performances dans le cadre de leur vie professionnelle.
La méthodologie de recherche
Le mémoire s’appuie sur une méthodologie exploratoire, expérimentale et qualitative. 10
étudiants (école de management et architecture, cursus universitaires) ont été sélectionnés parmi
17 ayant répondu à la demande de participation à une « expérience », à partir du message
suivant posté sur les réseaux sociaux : « Bonjour à tous, dans le cadre de mon mémoire de
recherche, je recherche des étudiants volontaires pour participer à un cours d’introduction sur
le thème du “Design Thinking”. Contactez-moi en MP ! ».
Les 10 étudiants ont été répartis par moitié en deux groupes. Tous ont signé l’acceptation à participer à l’expérience. Le premier groupe (A) a suivi un cours en ligne d’introduction au Design Thinking (durée : 20 minutes). Le second groupe (B) a suivi ce même cours, mais précédé d’un exercice (en ligne) de pleine conscience.
S’appuyant sur la littérature, Tiger a défini trois critères basés sur l’étude de Lam et al, (2014)
au sujet de la participation de l’achèvement des tâches et de l’effort/assiduité ; chaque critère
étant mesuré par un indicateur pour apprécier la concentration des participants durant
l’expérimentation : 1° : le niveau d’interaction pour le critère de la participation ; 2° :
l’implication des étudiants pendant l’expérience pour le critère de l’achèvement des tâches ;
3° : le taux de réponses correctes pour apprécier l’effort et l’assiduité.
Des données quantitatives (réponses à un questionnaire sur le déroulé du cours) et qualitatives
(questions ouvertes dans le questionnaire, et messages postés sur le « chat » de la plateforme
du cours) ont été collectées et analysées.
L’ensemble de ces données a permis de mesurer le premier critère (participation).
Pour mesurer l’achèvement des tâches, le nombre de mots dans les questions ouvertes a été retenu (selon Lam et al, 2014) ; qui témoigne de l’achèvement des tâches car la littérature montre que les étudiants n’ayant que très peu de temps à consacrer aux études ont tendance à sauter/bâcler les questions ouvertes qui demandent une vraie réflexion.
Enfin, le taux de réponses correctes a permis d’évaluer le 3° critère : l’effort/l’assiduité. Plus
un élève est assidu et aura fourni un effort de concentration durant le cours, plus il aura des
chances d’avoir compris et assimilé les notions présentées pendant le cours.
Les principaux résultats
L’expérience montre l’influence positive de l’exercice de pleine conscience sur l’attention et la
motivation à suivre un cours :
- quant à la participation : le groupe B a largement plus interagi que le groupe A : 64% des
interactions repérées durant les deux sessions ont été faites par des étudiants du groupe B - quant à l’implication : le groupe B utilise plus de deux fois plus de mots que le groupe A pour
lister les concepts retenus durant le cours, et retranscrit ses réponses de manière plus pertinente - quant à l’effort et l’assiduité, les réponses montrent de même que le groupe B possède une
meilleure compréhension des concepts du design thinking, ne tombant pas dans le piège de
questions volontairement erronées, et manifestant ainsi d’une bonne assiduité
Un autre résultats important a émergé de l’analyse des données : le groupe témoin (A) avait
tendance à surévaluer ses capacités de concentration, tandis que le groupe B avait une meilleure
auto-perception de sa concentration durant l’épreuve.
Au-delà, les membres du groupe témoin ne sont pas parvenus à trouver des ressources internes pour s’auto aider à se concentrer. Ils n’ont d’ailleurs pas forcément compris le mécanisme de leur propre attention et la majorité d’entre eux ne sont pas tout à fait lucide sur leur capacité d’attention. Le groupe B quant à lui a bien réussi à mettre en œuvre et à comprendre les mécanismes de recentrage d’attention.
Ces résultats montrant que la pleine conscience est un moyen de se reconnecter au présent, une
forme de méditation axée sur la conscience de soi et la perception des éléments qui nous
entourent, sans jugement. Elle renforce l’intelligence émotionnelle reconnue comme jouant un
rôle dans la réussite des étudiants.
Les implications managériales sont potentiellement vastes ; on ne peut qu’encourager les
enseignants et plus largement les institutions de formation à étudier comment introduire cette
pratique de pleine conscience dans le cursus des étudiants, et pour le moins de les sensibiliser
à ses effets positifs.
Cela doit être fait dans le respect d’une démarche éthique, sans « forcer » les étudiants, et en garantissant absolument la qualité et le sérieux des modalités à sensibiliser ou former les étudiants (et le corps enseignant) à cette pratique.
Références (extrait)
Charoensukmongkol, P. (2014). Benefits of Mindfulness Meditation on Emotional Intelligence,
General Self-Efficacy, and Perceived Stress: Evidence from Thailand. Journal of Spirituality in
Mental Health, 16:171-192.
Esteban M, A. Jacob F., Maria Paola U., Basit Z. (2020) "The Impact of COVID-19 on Student
Experiences and Expectations: Evidence from a Survey," NBER Working Papers 27392,
National Bureau of Economic Research, Inc.
Granjon, Y. (2021). La perception de l’enseignement à distance par les étudiants en situation
de confinement : Premières données. Distances et médiations des savoirs. Distance and
Mediation of Knowledge, 33, Article 33
Heyman, E. (2010). Overcoming student retention issues in higher education online programs.
Online Journal of Distance Learning Administration, 13(4).
Kabat-Zinn, J., (1994). Wherever you go there you are: Mindfulness meditation in everyday
life. New York, NY: Hyperion.
Karsenti, T., Poellhuber, B., Roy, N., & Parent, S. (2020). Le numérique et l’enseignement au
temps de la COVID-19 : entre défis et perspectives – Partie 1. Revue Internationale Des
Technologies En Pédagogie Universitaire, 17(2), 1–4.
Lam, S.-f., Jimerson, S., Wong, B. P. H., Kikas, E., Shin, H., Veiga, F. H., Hatzichristou, C.,
Polychroni, F., Cefai, C., Negovan, V., Stanculescu, E., Yang, H., Liu, Y., Basnett, J., Duck,
R., Farrell, P., Nelson, B., & Zollneritsch, J. (2014). Understanding and measuring student
engagement in school: The results of an international study from 12 countries. School
Psychology Quarterly, 29(2), 213–232.
Salovey, P., & Mayer, J. D. (1990). Emotional Intelligence. Imagination, Cognition and
Personality, 9(3), 185–211.
Weare, K., Bethune, A., & Bristow, J. (2021). Implementing Mindfulness in Schools : An
Evidence-Based Guide. Mindfulness Initiative.