Comment s’explique l’essor des biopics alors que de nombreux critiques soulignent qu’ils font rarement de grands films en raison de leur académisme ou de leur prévisibilité ? Existe-t-il une formule du succès pour certains types de biopics, notamment musicaux ? Quels sont les objectifs des différentes parties prenantes (studios, acteurs, réalisateurs, fans, critiques) ?
Une personnalité, un destin, une histoire
Un biopic (biographical motion picture) ou film biographique est une œuvre cinématographique de fiction centrée sur la description biographique d’un personnage principal ayant réellement existé. Si ce type de film existe depuis pratiquement l’origine du cinéma, il prolifère depuis les années 80 avec des possibilités accrues pour les réalisateurs de recréer efficacement des paysages et des zones urbaines d’époque.
À la base d’un biopic donc, préexiste le choix d’une personnalité décédée ou encore en vie à la destinée potentiellement exploitable au cinéma. Les possibilités narratives sont variées, de l’hagiographie au choix de périodes ou d’événements clés en passant par une interprétation radicalement différente et originale (par exemple I’m Not There de Todd Haynes où Dylan est incarné par six acteurs différents dont une femme).
Si le biopic est aujourd’hui considéré comme un genre cinématographique à part entière, les traitements divers des réalisateurs peuvent faire rentrer chaque film dans une catégorie spécifique (Alexandre est un film historique, Patton un film de guerre, Rocketman une comédie musicale) afin de viser une audience plus large. Ceci permet également d’éviter de lasser le public quand les films de genre inondent le marché (westerns, comédies musicales).
À titre d’exemple, les deux biopics consacrés à Steve Jobs sont radicalement différents. Alors que le film de Joshua Michael Stern, éreinté par la critique, suit le fil chronologique de la vie du fondateur d’Apple, l’approche de Danny Boyle est, quant à elle, beaucoup plus originale. En effet, le scénario d’Aaron Sorkin, découpant l’histoire en trois actes principaux (trois lancements de produits), et la réalisation de Boyle impriment un style tout à fait particulier faisant la part belle aux dialogues et au jeu de Michael Fassbender et proposent un aspect inattendu du personnage à travers son rôle de père.
D’une manière générale, les grandes réussites artistiques comme Raging Bull (Martin Scorsese), Ali (Michael Mann) ou Amadeus (Milos Forman) sortent des schémas chronologiques classiques pour devenir une œuvre cinématographique à part entière parfaitement cohérente avec l’univers de son auteur. À l’inverse, le risque pour un réalisateur d’être dépassé par le sujet ou le personnage reste important, tout comme la tentation de rentrer dans le moule de la « formule » guettant notamment les biopics musicaux, comme le souligne cet article paru dans Slate.
Le choix crucial de l’acteur principal
En dehors de la réalisation, le choix de l’acteur ou de l’actrice est particulièrement délicat.
Des stars comme Leonardo DiCaprio (J. Edgar Hoover) ou Will Smith (Ali), des acteurs confirmés comme Jérémie Renier (Cloclo) ou en pleine ascension se sont frottées à l’exercice. Les interprétations de Marion Cotillard dans La Môme et de Jamie Foxx dans Ray ont été récompensées par les très prestigieuses récompenses des Oscars de la meilleure actrice (pour Cotillard en 2008) et du meilleur acteur (pour Foxx en 2004).
Rentrer dans la peau d’un personnage connu n’est pas chose aisée et donne lieu souvent à de véritables performances d’acteurs résultant d’un travail long et précis. Morphologie, style vestimentaire, phrasé, accent, démarche seront observés par les fans qui connaissant parfaitement leurs idoles. Notons que Taron Egerton a tenu à interpréter les chansons d’Elton John dans Rocketman.
Les sportifs ou les humoristes sont sans doute les personnalités les plus difficiles à incarner. La gestuelle sportive est particulièrement complexe à reproduire pour un acteur et le regard du spécialiste sportif est généralement impitoyable sur la crédibilité des actions. À ce titre, le travail de réalisation et d’acteurs vu dans Borg/McEnroe (alternance de plans avec l’acteur Shia Labœuf et des joueurs professionnels pour plus de réalisme) est une tentative intéressante dans un sport, le tennis, très complexe à cinématographier.
Approche promotionnelle
Côté production, le biopic présente un certain nombre d’atouts.
Pour un studio, biopic rime souvent avec carton au box-office et récompenses lors de cérémonies. Les ayants droit ou les personnalités elles-mêmes si elles sont encore vivantes donnent leur caution au projet, n’hésitant pas à jouer le jeu de l’autopromotion. L’accompagnement promotionnel est généralement important comme on a pu l’observer pour Rocketman durant la période du Festival de Cannes.
Ce type de projet représente un bon produit marketing, relativement facile à promouvoir étant donnée la notoriété des personnages et de leurs destinées. Les fans, déjà experts en la matière et consommant déjà tout type de productions concernant leur idole, représenteront la cible principale du film, même s’ils seront impitoyables quant à son appréciation et attentifs au moindre détail. Un public plus large, attiré par la campagne promotionnelle, plus fan parfois des interprètes que des personnages réels ou par le genre de film, est également attendu.
Au final, l’ensemble de la filière semble aujourd’hui maîtriser le produit biopic, ce qui explique en partie la multiplication des productions. Le potentiel reste quasi infini, certaines personnalités faisant même l’objet de plusieurs films (Lance Armstrong, Yves Saint-Laurent, Steve Jobs). Par ailleurs, de plus en plus de projets abordent des destins moins connus et spectaculaires comme ceux de Stephen Hawking ou de Tolkien dont le film sort ce mercredi 19 juin sur les écrans.