Nos chefs politiques ont pris toute la mesure du problème écologique. Leurs magnifiques plans de transformation énergétique nous dirigent vers l'avenir radieux d'une croissance verte et infinie.
Peu importe si les émissions mondiales de CO2 et de méthane n'ont jamais été aussi élevées qu'en 2022. Peu importe si la croissance verte ne fait qu'augmenter l'empreinte écologique (minerais, métaux…) ; en ravageant des écosystèmes entiers pour fabriquer batteries électriques, radiateurs, électronique, moteurs ou encore carrosserie pour Tesla et autres entreprises converties à la cause écologique (à condition toutefois que celles-ci augmentent leurs profits !).
A ce rythme, la barre fatidique de +1,5 °C à horizon 2100 sera atteinte d'ici 9 ans. Pourtant, « personne n'aurait pu prévoir la crise climatique », si ce n'est bien sûr les acteurs du déni climatique eux-mêmes, puisqu'un récent article publié dans Science affirme qu'Exxon était au courant du réchauffement climatique depuis les années 1970 !
Une croissance impossible
Mais la fête peut continuer (pour certains). Les équations savantes des gourous de l'économie mainstream martèlent que la martingale du marché permettra de régler le problème : il suffirait pour cela de coter la nature en Bourse. Le rendement, le signal prix, les crédits carbones, les algorithmes, l'intelligence artificielle, la technologie, bref, l'argent va sauver le monde !
Pourtant, nul besoin d'un doctorat d'économie pour comprendre qu'une croissance infinie est impossible dans un monde fini. Or, dans ce nouveau capitalisme durable, tout est possible - à condition de ne pas toucher à la croissance, au sacro-saint PIB, à la course effrénée aux profits, et donc à l'imaginaire social qui est pourtant la cause réelle du problème. Mais quoi d'autre finalement ? Les monnaies locales ? Le monde des amish ?
Nous sommes professeurs de finance dans une grande école de commerce. Notre monde porte sa part de responsabilité, puisqu'il forme les générations de dirigeants et d'acteurs qui construisent les mondes économiques et sociaux. Les programmes les plus « prestigieux » formatent les étudiants à une vision du monde dans laquelle il n'existe point de salut hors de la maximisation du profit. L'écologie serait, finalement « une affaire de capitalisme » (dixit Larry Fink, CEO de Blackrock en 2022).
Un avenir irrémédiablement contraint
Mais presque une décennie après les Accords de Paris, les cérémonies de remise de diplôme des grandes écoles se remplissent de nouveaux déserteurs et lanceurs d'alerte. Les frontières internationales se referment, face aux crises énergétiques, géopolitiques et sanitaires. Des citoyens font barrage pour protéger leurs écosystèmes, leurs maisons, comme à Lützerath…
Les générations montantes ont déjà compris et analysé la situation, mais elles n'en font surtout pas un statu quo. Elles ont déjà perdu une part de leur jeunesse dans la crise du Covid. Elles savent que leur avenir proche sera irrémédiablement contraint par les choix égoïstes et de courte vue de leurs prédécesseurs. Elles ont souvent choisi des études supérieures pour les « débouchés » qui paraissent souvent très abstraits à 20 ans.
Mais, sous le vernis des discours convenus, transparaît vite une « envie d'autre chose » qu'une carrière vide de sens, compensée par les flashs de plaisir éphémères que leur offrent l'argent et la consommation (et pour combien de temps encore ?). Elles exigent de leurs enseignants qu'ils acceptent de remettre en question leur « savoir » en prenant en compte les limites planétaires, la nouvelle économie des communs, la capacité des êtres humains à s'appliquer une forme de décence, de s'interroger sur leurs besoins, à vivre et échanger dans la convivialité des territoires et à protéger eux-mêmes leurs écosystèmes. Elles leur demandent d'aller plus loin qu'une simple master class de rentrée sur la décroissance ou qu'une fresque du climat.
Refonte des enseignements
Au-delà de la déconstruction critique se pose donc la question de la reconstruction écologique et sociale de notre monde. Heureusement, les outils théoriques et conceptuels existent et ont été développés depuis plusieurs décennies : économie écologique, études critiques en management, économie féministe, économie inclusive, économie postkeynésienne, économie sociale et solidaire, économie coopérative, investissement d'impact… Ces contenus fournissent tous les outils d'une refonte intégrale de nos enseignements.
Il en va bien sûr de la responsabilité de chaque enseignant dans son amphithéâtre et face à ses étudiants. Cela pose aussi plus largement la question des rapports entre l'enseignement supérieur avec l'industrie. On ne peut plus se contenter de préparer les jeunes au marché du travail « tel qu'il est » mais plutôt « tel qu'il devient », en anticipant à tous les échelons, pour offrir des perspectives à une jeunesse dont l'avenir est engagé par l'édification de cette nouvelle économie.
Une autre voie est possible, elle exige un engagement passionné dans une ontologie durable forte, sans compromission, où les disciplines en économie, gestion et plus largement en sciences humaines et sociales viennent toutes embrasser cet objectif, en étroite collaboration avec les acteurs de cette nouvelle économie. Cette voie existe et est déjà empruntée par de nombreux enseignants-chercheurs, mais en nombre encore très (trop) insuffisant. Nous imaginons bien que ce texte en fera sourire certains, en énervera d'autres. Mais à rester dans l'inaction, nos enfants nous jugeront.